Gess, Lehman - L'homme truqué - les vagabons du rêve
                                                             
                            
                                « L’ombre. La ténèbre. Voilà ce qui sied aux gentilshommes-justiciers » (p. 11). 
Sans avoir lu L’Homme Truqué (1921), le roman de Maurice Renard 
qui a servi de base à cet album de B.D, on peut néanmoins éprouver 
davantage qu’une simple curiosité à sa lecture.
Lehman et Gess s’en sont vraisemblablement inspirés en l’adaptant à leur
univers de la Brigade Chimérique. 
Le roman, selon Les Maîtres du Fantastique en Littérature, a pour
héros un « mutilé dont les yeux ont été remplacés par des électroscopes
qui transforment sa perception : le voici continuellement plongé dans 
une féerie lumineuse, un monde nouveau et étrange » (p. 110). 
Le moins que l’on puisse dire c’est que ce personnage est ici pleinement
respecté, avec de très beaux effets visuels colorés pour témoigner de 
sa vision surréelle. Le travail sur les couleurs est d’ailleurs l’un des
points forts de l’album (comme dans la Brigade Chimérique), même
si l’on peut regretter quelques scènes nocturnes monochromes où... l’on
n’y voit pas grand'chose, un peu comme dans certains films visionnés 
sur une bonne vieille VHS. Question d’ambiance, sans doute, mais l’effet
n’est pas franchement réussi. 
La Brigade Chimérique est un savant mélange de comics et de 
feuilleton. En six albums, la série décrit un monde où les (super) héros
de la littérature populaire sont bien réels. Depuis, un jeu de rôles 
est né pour explorer plus avant sa richesse. 
On retrouve ici le Nyctalope, dans un rôle plus avantageux, et l’on se 
dit que le héros de Jean de la Hire a le vent en poupe ces dernières 
années, avec aussi les rééditions et les inédits publiés par les 
excellentes éditions Rivière Blanche. 
L’Homme Truqué du titre est une victime de la guerre de 1914, 
comme d’autres hyperêtres (les super-héros de la Brigade ici réduits à 
ne faire qu’une brève apparition). Ses pouvoirs permettent au Nyctalope 
et à Marie Curie de dévoiler une invasion extra-terrestre... tout droit 
sortie du classique de Renard, Le Péril Bleu ! 
Les arachnophobes apprécieront. 
Les auteurs adorent évidemment Maurice Renard, le roi du « Merveilleux 
Scientifique », ou, tout simplement, l’un des pionniers de la S.F.
C’est avec un infini respect qu’ils utilisent le formidable imaginaire 
de l’auteur français (qui figure ici parmi les personnages principaux) 
pour obtenir quelque chose de neuf et d’énergique qui plaira tant aux 
spécialistes de l’ « anticipation ancienne » qu’aux novices en la 
matière. Ces derniers seront à coup sûr séduits par une belle 
efficacité, scénaristique comme artistique. En témoigne un excellent 
prologue situé en pleine première guerre mondiale. 
 
                            
                                Publié le 9 juillet 2013