On connaît mal Claude Ecken, pourtant il écrit depuis une vingtaine d’années, alternant romans, nouvelles – pour lesquelles il a eu le prix Rosny aîné – et scénarios de BD. Jusqu’ici ses nouvelles relevaient de la pure SF, une SF à la Jules Verne, à la Heinlein. Des histoires construites à partir d’hypothèses solides et situées dans un futur proche. D’où l’étonnement devant le recueil de ces onze récits dont la perspective est donnée dès le premier texte  Asphyxie .   « La science-fiction est morte. Le présent est plus urgent qu’un futur qui n’arrivera jamais » (p. 14) qui rappelle cette opposition des années lointaines où à la collection "Ailleurs et Demain" s’opposait celle intitulée "Ici et Maintenant".   Une fois l’étonnement passé, on s’intéresse aux textes. Tous ont à voir avec un futur si proche qu’on peut le prendre pour un quasi présent, comme s’il s’agissait de faits divers d’un monde qui est celui que nous lisons dans les journaux avec indifférence. Ou alors un monde où les mêmes faits divers nous seraient présentés comme la norme. Un monde où les techniques « scientifiques », comme chez le Philip K. Dick de Minority Report , sont utilisées pour anticiper les conséquences éventuelles d’une tare d’un individu. Ce qui chez Dick relève des précogs est ici une conséquence du besoin de sécurité dont rêvent – paraît-il – les citoyens (blancs de préférence).   Ces techniques, avec le côté sécuritaire absolu qui vire à la paranoïa, finissent par leur application injuste et injustifiée, par transformer des adolescents en délinquants. Ne serait-ce tout simplement que parce que tout est matière à délinquance dans la vie de ces adolescents. Aussi bien à l’école qu’en dehors.   On vit, dans ces nouvelles, dans des quartiers de banlieue, surveillés comme si les habitants n’attendaient que le moment d’exploser tant la haine est forte, mais elle demeure en profondeur, la police veille et surveille. On est confronté à des vies que tout tend à transformer en destin de mort, comme une prophétie autoréalisatrice. Il suffit parfois, comme dans la dernière nouvelle, qu’une parole sur l’enfant soit posée, avant même sa naissance, pour qu’il devienne ce que cette parole prophétisait : un voyou. D’ailleurs la société entière a mis la main à la pâte pour obtenir ce résultat.   Nous nous demandions si nous avions quitté le domaine de la SF, ainsi que Claude Ecken l’avait prédit. La question demeurera pour certains. Ne serait-ce pas plutôt, comme chez Ballard – qui avait prétendu que ses textes n’en relevaient pas –, un élargissement du domaine de la SF ? Ce que le lecteur a ici entre les mains, c’est un ouvrage généreux, optimiste, et qui donne à réfléchir.     Roger BOZZETTO Revue Solaris 182, Printemps2012

Ecken - Au réveil il était midi - Revue Solaris
On connaît mal Claude Ecken, pourtant il écrit depuis une vingtaine d’années, alternant romans, nouvelles – pour lesquelles il a eu le prix Rosny aîné – et scénarios de BD. Jusqu’ici ses nouvelles relevaient de la pure SF, une SF à la Jules Verne, à la Heinlein. Des histoires construites à partir d’hypothèses solides et situées dans un futur proche. D’où l’étonnement devant le recueil de ces onze récits dont la perspective est donnée dès le premier texte  Asphyxie .
 
« La science-fiction est morte. Le présent est plus urgent qu’un futur qui n’arrivera jamais » (p. 14) qui rappelle cette opposition des années lointaines où à la collection "Ailleurs et Demain" s’opposait celle intitulée "Ici et Maintenant".
 
Une fois l’étonnement passé, on s’intéresse aux textes. Tous ont à voir avec un futur si proche qu’on peut le prendre pour un quasi présent, comme s’il s’agissait de faits divers d’un monde qui est celui que nous lisons dans les journaux avec indifférence. Ou alors un monde où les mêmes faits divers nous seraient présentés comme la norme. Un monde où les techniques « scientifiques », comme chez le Philip K. Dick de
Minority Report , sont utilisées pour anticiper les conséquences éventuelles d’une tare d’un individu. Ce qui chez Dick relève des précogs est ici une conséquence du besoin de sécurité dont rêvent – paraît-il – les citoyens (blancs de préférence).
 
Ces techniques, avec le côté sécuritaire absolu qui vire à la paranoïa, finissent par leur application injuste et injustifiée, par transformer des adolescents en délinquants. Ne serait-ce tout simplement que parce que tout est matière à délinquance dans la vie de ces adolescents. Aussi bien à l’école qu’en dehors.
 
On vit, dans ces nouvelles, dans des quartiers de banlieue, surveillés comme si les habitants n’attendaient que le moment d’exploser tant la haine est forte, mais elle demeure en profondeur, la police veille et surveille. On est confronté à des vies que tout tend à transformer en destin de mort, comme une prophétie autoréalisatrice. Il suffit parfois, comme dans la dernière nouvelle, qu’une parole sur l’enfant soit posée, avant même sa naissance, pour qu’il devienne ce que cette parole prophétisait : un voyou. D’ailleurs la société entière a mis la main à la pâte pour obtenir ce résultat.
 
Nous nous demandions si nous avions quitté le domaine de la SF, ainsi que Claude Ecken l’avait prédit. La question demeurera pour certains. Ne serait-ce pas plutôt, comme chez Ballard – qui avait prétendu que ses textes n’en relevaient pas –, un élargissement du domaine de la SF ? Ce que le lecteur a ici entre les mains, c’est un ouvrage généreux, optimiste, et qui donne à réfléchir.
 
 
Roger BOZZETTO
Publié le 2 mai 2012

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