Règle de base : un livre qui se veut de la littérature générale et dénigre la science-fiction a toutes les probabilités d'être de la science-fiction, et de la mauvaise. Sauf qu'ici, à la première page, ce n'est évidemment pas l'auteur, mais un narrateur peu sympathique qui reproche à son fils de lire de la SF. On conviendra que ce n'est pas la même chose. On pouvait bien entendu s'en douter de toute façon, s'agissant de Claude Ecken et des éditions L'Atalante. Autre règle de base : quand on a le douteux privilège d'être assez vieux pour en avoir entendu parler, il est convenu et convenable de vouer aux gémonies la très feue science-fiction politique française (SFPF voire NSFPF). Celle-ci avait certes bien des défauts, et parfois un discours triomphaliste peu en phase avec sa réalité éditoriale, mais au moins à petites doses, on ne saurait reprocher à des livres de parler de la réalité immédiate en l'exagérant, en lançant des messages d'alerte ou des signaux de détresse, et en reflétant les engagements de leur auteur. Surtout quand celui-ci a du talent, et c'est le cas. Bref, au fil de ces nouvelles aux longueurs des plus variables, classées par ordre chronologique comme des éclats d'une histoire du futur proche vu non des sommets mais à hauteur d'humain ordinaire, on passe d'un monde à peine plus désagréable que le nôtre ce qui fait déjà beaucoup, et où l'anticipation y est presque imperceptible, à des dérives cauchemardesques de plus en plus évidentes. Surveillance généralisée, xénophobie, avilissement de l'école pour commencer, destruction de squat vu par un gamin à la recherche de son doudou, racisme ex-colonial des plus ordinaires, embastillement certes provisoire d'un témoin gênant les policiers musclés, ceci sur fond de rap, aides sociales dérisoires et suspendues à de paperasseries kafkaïennes, moralisme de carton pâte purement formel, asphyxie des services hospitaliers, amnésie organisée par l'amputation de l'Histoire, avec l'aide de quelques parents d'élèves bien pensants et arrivée des forces de l'ordre pour agrémenter l'inspection d'une enseignantes ne pensant pas comme eux, vigiles ou miliciens bien organisés, nouvelle maladie psychique née par et pour le contrôle social, peine de mort pour de quasi-enfants, et détectage-assignation dès la maternelle, ville à peine future, enfin, supposée être pour 2021, bien clivée, bien fermée, cityplasme ne prêtant pas à l'enthousiasme… On passe de l'à peine exagéré à un autre monde peu ragoûtant, en quelques textes, en quelques années, et peut-être d'ailleurs ne faudrait-il pas tant de quinquennats comme celui qui vient de s'écouler. Pas de noms, pas de références précises - l'écriture a le dessus sur le tract. Et la voix de Claude Ecken, vieux routier trop sous-estimé, aux antipodes du m'as-tu-vu et des rodomontades (qui ne firent pas de bien à la SFPF sus-citée), et sa capacité d'empathie dans la peinture des personnages quotidiens et touchants, se combinent au plus grand bénéfice du lecteur. Lequel acceptera sans nul doute le message très explicite de ce livre paru sans doute un peu trop tard, en pleine campagne électorale alors qu'il aurait pu être hélas d'actualité depuis quelques temps. Il se peut que cela lui nuise. Ce serait dommage. Il ne faudrait pas que cela empêche de l'apprécier, pour ses qualités propres, à commencer par son écriture, et aussi parce que quoi qu'on fasse, quoi qu'on vote, les ventres sont toujours chauds d'où sortent des bestioles innommables, et celles-ci, réunies en troupeau, peuvent pourrir la vie de tous.     Eric Vial Galaxies - Numéro 16

Ecken - Au réveil il était midi - Galaxies
Règle de base : un livre qui se veut de la littérature générale et dénigre la science-fiction a toutes les probabilités d'être de la science-fiction, et de la mauvaise. Sauf qu'ici, à la première page, ce n'est évidemment pas l'auteur, mais un narrateur peu sympathique qui reproche à son fils de lire de la SF. On conviendra que ce n'est pas la même chose. On pouvait bien entendu s'en douter de toute façon, s'agissant de Claude Ecken et des éditions L'Atalante. Autre règle de base : quand on a le douteux privilège d'être assez vieux pour en avoir entendu parler, il est convenu et convenable de vouer aux gémonies la très feue science-fiction politique française (SFPF voire NSFPF). Celle-ci avait certes bien des défauts, et parfois un discours triomphaliste peu en phase avec sa réalité éditoriale, mais au moins à petites doses, on ne saurait reprocher à des livres de parler de la réalité immédiate en l'exagérant, en lançant des messages d'alerte ou des signaux de détresse, et en reflétant les engagements de leur auteur. Surtout quand celui-ci a du talent, et c'est le cas.
Bref, au fil de ces nouvelles aux longueurs des plus variables, classées par ordre chronologique comme des éclats d'une histoire du futur proche vu non des sommets mais à hauteur d'humain ordinaire, on passe d'un monde à peine plus désagréable que le nôtre ce qui fait déjà beaucoup, et où l'anticipation y est presque imperceptible, à des dérives cauchemardesques de plus en plus évidentes. Surveillance généralisée, xénophobie, avilissement de l'école pour commencer, destruction de squat vu par un gamin à la recherche de son doudou, racisme ex-colonial des plus ordinaires, embastillement certes provisoire d'un témoin gênant les policiers musclés, ceci sur fond de rap, aides sociales dérisoires et suspendues à de paperasseries kafkaïennes, moralisme de carton pâte purement formel, asphyxie des services hospitaliers, amnésie organisée par l'amputation de l'Histoire, avec l'aide de quelques parents d'élèves bien pensants et arrivée des forces de l'ordre pour agrémenter l'inspection d'une enseignantes ne pensant pas comme eux, vigiles ou miliciens bien organisés, nouvelle maladie psychique née par et pour le contrôle social, peine de mort pour de quasi-enfants, et détectage-assignation dès la maternelle, ville à peine future, enfin, supposée être pour 2021, bien clivée, bien fermée, cityplasme ne prêtant pas à l'enthousiasme… On passe de l'à peine exagéré à un autre monde peu ragoûtant, en quelques textes, en quelques années, et peut-être d'ailleurs ne faudrait-il pas tant de quinquennats comme celui qui vient de s'écouler.
Pas de noms, pas de références précises - l'écriture a le dessus sur le tract. Et la voix de Claude Ecken, vieux routier trop sous-estimé, aux antipodes du m'as-tu-vu et des rodomontades (qui ne firent pas de bien à la SFPF sus-citée), et sa capacité d'empathie dans la peinture des personnages quotidiens et touchants, se combinent au plus grand bénéfice du lecteur. Lequel acceptera sans nul doute le message très explicite de ce livre paru sans doute un peu trop tard, en pleine campagne électorale alors qu'il aurait pu être hélas d'actualité depuis quelques temps. Il se peut que cela lui nuise. Ce serait dommage. Il ne faudrait pas que cela empêche de l'apprécier, pour ses qualités propres, à commencer par son écriture, et aussi parce que quoi qu'on fasse, quoi qu'on vote, les ventres sont toujours chauds d'où sortent des bestioles innommables, et celles-ci, réunies en troupeau, peuvent pourrir la vie de tous.
 
 
Eric Vial
Galaxies - Numéro 16
Publié le 2 mai 2012

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