Vivement que nous autres, navigateurs/explorateurs des grands fonds, suivions encore longtemps les fascinants méandres d’une envoûtante plume de sa trempe, incisive ô combien !

Faunes - Présences d'Esprits 117

Titre diaboliquement ambigu – d’une Nature sauvage, renvoyant aux titres latins des nouvelles au fil des « îlots de l’Archipel de Hantise »… Pourquoi d’ailleurs ce choix du latin pour la Classification du Vivant ? Voilà une dystopie où la Nature reprend ses droits au gré de dérèglements darwiniens cauchemardesques.

Texte d’une incroyable richesse aux ondoiements lancinants, au tissage resserré, d’une logique intrinsèque et d’une structure fond/forme absolument remarquables. D’ailleurs, l’idée en filigrane d’une « eau rare » fait penser à la terre rare et à ses mystères.
Évolution du vivant où une jeune biologiste, Laura (admirons le phonème « l’eau »), en quête de réponses sur un écosystème à la source de mutations (tels les lapins tueurs d’Incisivus), entraîne le lecteur de Shivering Heights (les « Monts frissonnants »), avec son hôtel fermé pour cause de pluies diluviennes (Dilivium) à un hameau lacustre où elle vit une flambée d’amour avec un jeune mutant (Creaturae), avant de s’aventurer au Grand Nord pour y observer de voraces ours polaires (Ursus Maritimus)… Fulgurances de la nature et de la science, Laura est le fil rouge de ce roman, d’où sourd une angoisse à la sensualité animale.

Au nombre des fils conducteurs troubles : l’onde et ses brumes dérangeantes, ses moiteurs et moisissures en devenir, les jeux de regards aux « mosaïques pailletées », à « l’eau enfiévrée », les champs lexicaux convoqués à merveilleux escient et leurs métaphores filées, des couleurs délavées… Bref, l’eau porte en gésine la Création des origines à sa fin. On touche là au Déluge biblique, au dépérissement du monde, à la déliquescence du genre humain (« l’homme, ce prédateur si facilement tué »)… À la rondeur des gouttes de pluie, à l’ineffable des lignes diluées répondent comme en miroir satanique celles, tranchantes, des visages, des griffes, des excroissances minérales… Peinture au couteau d’un univers étrangement inorganiques, où l’homme reste « sur la rive », face à l’angoissante montée d’une forme de parasitisme à carapace phosphorescente d’où découlent des mutations larvées – là encore, métaphore filée d’archaïques créatures piscicoles…

Pour une première œuvre fiévreuse où les humains sont ballottés au gré d’instincts primitifs, la Québécoise Christiane Vadnais, médecin de formation, signe là un coup de maître, « en faisant émerger l’étrangeté du réel, en remettant l’acquis en question, en invitant le réalisme magique à renouveler notre regard » selon ses termes. Vivement que nous autres, navigateurs/explorateurs des grands fonds, suivions encore longtemps les fascinants méandres d’une envoûtante plume de sa trempe, incisive ô combien !

Michèle ‘1773’ Zachayus

Publié le 23 octobre 2024

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