Premier roman de la Québécoise Christiane Vadnais, Faunes observe au microscope l’évolution du cataclysme en cours et estompe les frontières échafaudées de longue date entre l’homme et la nature.
Hier j’ai lu Faunes, de l’autrice Québécoise Christiane Vadnais. Initialement paru aux Éditions Alto en 2018, ce premier roman a déjà remporté de nombreux prix littéraires et a été traduit dans plusieurs langes. Comme pour des précédents ouvrages de la collection Dentelle du Cygne aux Éditions l’Atalante, j’ai été séduite par la splendide couverture, de Martin Wittfooth, puis le titre et la lecture de la 4ème de couverture ont plus que validé mon attrait pour ce livre.
J’ai ressenti le même élan envers Faunes que pour Jusque dans la terre de Sue Rainsford aux Éditions Aux Forges de Vulcain : des univers weird, nappés de réalisme magique, abordant la monstruosité sous le prisme de l’animalité, le rapport au corps etc. Là où la frontière entre l’humain et l’animal – ou plus exactement entre l’animal humain et l’animal non humain – se dilue, il faut redéfinir le genre humain, repenser son rapport au monde, sa place dans la Nature.
Cette lecture m’a conquise, je vous parle plus ci-dessous !
Premier roman de Christiane Vadnais, Faunes est une vision ensauvagée, qui dilue les frontières. Les frontières entre l’humain et l’animal, le vivant et l’inanimé, le temporel et l’infinitude, la survivance et l’impermanence. La vision d’un songe sauvage, cannibale, primitif. L’autrice livre une réflexion sur notre monde, sur l’évolution et les mutations génétiques, sur l’écologie, le réchauffement climatique, sur la définition même du vivant, de l’être humain.
Découpé en plusieurs fragments, telles les étoiles d’une constellation que l’on relit, le récit nous immerge dans un paysage aqueux, flouté. L’eau et le ciel ne font qu’un. Dans ce décor liquide et brumeux, des maisons-bateaux, et quelques habitations (un zoo, un spa, un centre de recherches) lentement absorbées par le brouillard. Ce sont des restes de civilisation que la nature digère progressivement (la bruine, l’averse orageuse, la tempête de neige).
Les saisons se mélangent, en un cycle du vivant qui mute. Nous sommes dans un récit mêlant l’onirisme, le fantastique, la science-fiction, en une weird fiction saupoudrée d’horreur. En effet, sous le prisme du regard de Laura, biologiste, nous assistons à des mutations qui touchent la faune et la flore, mais surtout les êtres humains. L’eau est le berceau de la vie, et ici, les eaux accouchent d’une nouvelle forme de vie. Ce phénomène, induit par le changement climatique, est une réponse de Mère Nature aux dérives humaines ; un retour à la nature, au sauvage. La survivance des espèces fait état de mutations évolutives rapides, comme de très lentes qui s’étirent en millénaires. Empruntant un autre chemin quant à l’effondrement écologique, ou à diverses fins du monde apocalyptiques, Christiane Vadnais propose l’émergence de mécanismes naturels.
L’être humain retourne à sa nature animale, via l’apparition d’un nouveau parasite, comme de mutations. Ce sont de fascinantes métamorphoses auxquelles nous assistons, teintées de body horror et d’onirisme. Le rapport au corps devient par moment maladif, anxiogène : une vision morcelée, étrangère. Dans tous les cas, les changements corporels sont naturels (mutations rapides, grossesse), mais les regards et les ressentis des personnages sur les métamorphoses qu’ils vivent distendent les frontières, redéfinissent le genre humain au profit du vivant.
Les instincts primaires reprennent le dessus. C’est dans cette ampleur que surgit la dévoration, omniprésente dans le récit. La faim se traduit comme l’élan de survivance par excellence ; manger ou être mangé. Elle est aussi prédation côté désir et sexualité, où l’absorption de l’autre évolue jusqu’à cannibaliser le vivant. À travers la naissance d’un nouveau regard sur le monde, tout est vivant ; les arbres, l’eau, le ciel, la roche, les plantes, les animaux humains ou non font partie du Tout-vivant. Aussi absorber, dévorer l’autre fait acte de cannibalisme.
À travers Faunes, Christiane Vadnais repense le vivant. Du territoire emmêlé en une seule tempête de Shivering Heights à un zoo, en passant par les maisons-bateaux cernées de prédateurs carnivores, ou encore par le Grand Nord où les ours polaires faméliques errent et s’attaquent aux hommes, jusque sur les berges de la rivière-source de nouvelles bactéries, c’est un monde qui se redessine, qui se recompose, selon des assemblages atomiques inédits.
Dans la brume aqueuse omniprésente, les personnages paraissent des fantômes, des silhouettes qui se perdent, se diluent en une expérience un brin chamanique qui les métamorphose ; tout est transformation qui rime, à Shivering Heights, avec survivance, survivance mutagène. Là où les frontières s’effacent, des jeux de miroir s’opèrent entre les animaux humains et les animaux non humains. Les premiers ressemblent davantage aux seconds et vice versa, car nous nous ressemblons, nos origines initiales se ramifient dans l’eau.
L’évolution mutagène rapide des êtres humains dans Faunes rappelle l’urgence actuelle de changer, repenser nos habitudes, repenser la Terre que nous détruisons. L’idée de cannibalisme du vivant avancée par Christiane Vadnais souligne la symbiose que nous n’entretenons plus avec Mère Nature : « Revenir à des temps plus sauvages. »
Avec Faunes, l’autrice Québécoise Christiane Vadnais signe son premier roman. Nous sommes dans un récit mélangeant l’onirisme et le fantastique, la science-fiction en une weird fiction saupoudrée d’horreur, où la réponse à l’effondrement de la Terre, la fin de temps, est la survivance mutagène. Là où les frontières se diluent, il faut repenser le vivant, le vivant qui se métamorphose. Faunes incarne la vision d’un songe sauvage, cannibale, primitif. À Shivering Heights, survivance rime avec dévoration, et dévoration avec symbiose. Un roman original, tant sur le fond que sur la forme que je recommande vivement !
Le temps de la survivance est éternel.