Les Vagabonds du rêve

Rien n'est jamais parfait. En épousant Dame Sybil et en devenant père du petit Sam, le commissaire Samuel Vimaire, ainsi anobli aurait pu se laisser aller. Après tout, il a fait du Guet d'Ankh-Morpork une équipe de pointe. Seulement, pour un homme qui « sent » sa ville à travers la semelle usée de ses vieilles bottes, le lâcher-prise est difficile.

Dame Sybil, dûment encouragée par le Seigneur Vétérini, a donc décidé, et sans appel, qu'ils iraient passer une quinzaine dans la demeure de famille. Cruelle obligation mais, tout commissaire soit-on, c'est bien le moins que de visiter ses domaines lorsqu'on est le duc d'Ankh.

La campagne ? Cet endroit où l'on patauge dans la boue et où l'on est cerné d'un silence inquiétant, souligné de bruits pires encore : oiseaux qui piaillent, bêtes qui grognent et toute une nature qui vous surveille sans en avoir l'air. Sans compter les domestiques qui ne supportent pas que vous ne teniez pas votre place en les méprisant comme il se doit. Du repos ? Ah bien oui !

Pourtant, à bien y regarder, tous ces braves paysans ne sont peut-être pas si différents que ça des citadins. Et tous ces nobliaux plus ou moins titrés qui se pressent aux invitations de Dame Sybil pourraient bien tremper leurs blanches mains dans une lessive pas si propre que ça. Après tout, on est loin ici des yeux de Vétérini. À moins que, finalement, on n'en soit pas si loin que ça.

Disons que ça fait bizarre, quoique logique, de découvrir que le bistrot du village, La Tête du gobelin, abrite justement une tête de gobelin mais pas sur les épaules dudit, empaillée plutôt. Une bonne base pour s'accoutumer aux rapports campagnards, surtout quand on tombe peu après sur le meurtre d'un de ces êtres « qui ne comptent pas ». Ou seulement dans le cadre d'un trafic d'esclaves ? Sans doute est-ce la raison de la prudence de Melle Bidel, auteur pour enfants qui a immédiatement gagné la sympathie du petit Sam grâce à ses livres sur le caca et ses odeurs. Et ce que le commissaire flaire quand il est au bon air ne sent certainement pas meilleur.

Heureusement qu'il est accompagné de Villequin, son truand de confiance. Et puis du policier du coin, du moins ce que l'on appelait un policier avant le passage de Vimaire ce qui lui permettra d'en devenir un au sens courant du terme, après un éprouvant voyage fluvial en pleine tempête. Pendant ce temps, à Ankh-Morpork, par un de ces hasards tout à fait hasardeux, le Guet municipal aurait bien besoin d'aide pour secourir l'imprudent sergent Côlon rendu malade par un artefact gobelin.

On retrouve ici nombre des figures qui font le quotidien des Annales du Disque-Monde et, aussi, cette manière particulière de l'auteur qui, par petites touches qui n'ont l'air de rien, transforme peu à peu ces personnages de caricature en héros. Il y a de la grandeur chez le commissaire Vimaire. Beaucoup d'humanité aussi. Et une grande bienveillance chez Pratchett.

Ainsi, en traitant à sa façon toute particulière du racisme, cette peste endémique que notre époque pensait éradiquée, il nous invite à nous pencher sur l'évolution de notre espèce mais sans jamais cesser de nous amuser. Que pourrait-on demander de plus ?

Hélène

Publié le 25 février 2013

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