Intelligente, subtile, piquée d’une pointe d’humour, une SF humaniste qui fait du bien !

Archives de l'exode - La Grande Parade
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C’est lorsque les humains ont quitté la Terre dévastée pour gagner les étoiles.

Aujourd’hui, la Flotte – les anciens vaisseaux de l’exil, organisés en stations spatiales, sont le lieu de vie des Exodiens. Beaucoup souhaitent partir, quelques-uns la rejoindre. Objet de curiosité, de rêve ou repoussoir, la Flotte continue de vivre selon les principes qui étaient ceux des terriens qui ont fui leur planète : chacun reçoit le nécessaire pour survivre, à manger, de l’air à respirer et un toit. Le travail salarié n’existe pas, et chacun est libre de contribuer à faire fonctionner la société tout entière par son activité volontaire. À bord des vaisseaux, l’économie marche sur la base du troc et du recyclage : les ressources sont limitées et l’usage des crédits (la monnaie utilisée dans l’UG) quasi inexistant. La sobriété, l’échange, la communauté sont les valeurs qui prévalent dans la Flotte.

Dans ce troisième volume de la série des Voyageurs (qui peut se lire indépendamment des autres, mais ce serait dommage de s’en priver), nous suivons une galerie de personnages : une ethnologue alien venue étudier les Exodiens, un homme qui rêve d’intégrer la flotte, un adolescent de la quitter, une archiviste qui s’efforce de conserver la mémoire, une soignante qui s’occupe des soins prodigués aux morts (même eux sont recyclés)… Chacune de ces voix, humaine ou extraterrestre, nous raconte le sentiment d’appartenance, ou son absence, le besoin de trouver une place, sa place, le désir de donner du sens à sa vie. Nous passons d’un personnage à un autre dans ce roman choral, et c’est sur la fin que les fils se tissent en un tableau cohérent et très beau.

Le lecteur peut se sentir déstabilisé par ce récit où, disons-le clairement, il n’y a pas vraiment d’action, ou d’aventure. Ce sont des tranches de vie que nous raconte l’autrice, avec la sensibilité et la finesse qui caractérise son écriture. Mine de rien, sans naïveté ou mièvrerie, elle propose une réflexion intelligente et profonde sur les valeurs adoptées par une société, qui régissent son organisation et ont une influence sur les actes de ses membres et sur l’environnement. Elle s’intéresse aussi à la relation à l’autre, qu’il soit de la même espèce mais de culture dissemblable (spatiaux vs coloniaux), ou qu’il soit parfaitement étranger (extraterrestre). La rencontre exige respect, dignité, écoute pour se comprendre, au-delà des différences. Dans ce récit, c’est à travers le regard de l’autre que Becky Chambers nous fait découvrir les sociétés, nous laissant réaliser que ce qui va de soi pour l’un est parfaitement inintelligible pour l’autre, à moins de faire l’effort de s’ouvrir à l’altérité.

L’émotion est au rendez-vous de ce roman puissant, profondément humaniste, à l’écriture subtile, qui (re)donne espoir…

Publié le 9 mai 2023

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