« À découvrir, l’expérience vaut le coup ! »

Ombre Bones
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Ce roman se déroule cette fois-ci principalement dans la Flotte. Pour rappel, à l’origine, les humains qui composent la Flotte en question ont été les derniers à quitter une Terre dévastée en espérant survivre et préserver leur espèce. Ils ont adopté un mode de vie bien à eux très inspiré des bons côtés du communisme, au point d’exister dans une forme d’utopie crédible car imparfaite. Dans ce roman, Becky Chambers nous propose à nouveau de suivre une galerie de personnages très divers aux vies ordinaires. Si vous avez envie d’intrigue à grande échelle ou d’action haletante, les textes de cette autrice ne sont pas faits pour vous.

Fidèle à ses habitudes, Becky Chambers propose une science-fiction tournée vers l’individu et la richesse apportée par les autres cultures. Son roman chorale lui permet d’aborder de nombreux thèmes et peindre beaucoup de profils. Voyez plutôt. Le lecteur rencontre d’abord Tessa. Elle est mère de deux enfants et travaille dans un secteur menacé par les intelligences artificielles. Isabel est une personne âgée qui travaille aux Archives et est chargée de préserver le souvenir de leur Histoire pour les générations futures. Eyas est une soignante, c’est à dire qu’elle s’occupe des morts et les transforme en composte pour qu’ils continuent d’être utiles à la communauté en servant à faire pousser les récoltes car dans la Flotte, rien ne se perd. Kip est un adolescent comme n’importe quel autre, que l’ennui pousse à mener des expériences idiotes et à s’interroger sur le sens de son existence. Quant à Sawyer, c’est un humain extérieur qui ne trouve pas son compte sur une planète après avoir perdu un énième travail et ressent l’envie de vivre au sein de la Flotte car leur mode de vie l’attire. Pour terminer, Ghuh’loloan est une ethnologue alien qui apparait dans les chapitres d’Isabel mais aussi à chaque début de partie (le texte est divisé en sept) sous forme de compte-rendu de ses recherches dans une simulation de publication scientifique.

Cette accumulation de profil permet au lecteur de se retrouver dans au moins l’un des protagonistes. L’intrigue des Archives de l’exode est assez simple. Il s’agit surtout d’écrire des tranches de vie et de culture, de montrer au lecteur toutes les phases d’une vie, de son commencement à sa presque fin. On a en effet un adolescent, un jeune adulte, une femme active célibataire, une mère, une personne âgée… C’est assez fascinant à découvrir et très différent de ce dont on a l’habitude. J’évoquais les thèmes abordés par l’autrice, ils sont aussi pluriels que ses personnages: le devoir de mémoire, le vivre ensemble, l’importance d’appartenir à une communauté… C’est une véritable ode à la tolérance et à l’ouverture.

Comme pour ses autres textes, je me dois de souligner la richesse de l’univers créé par l’autrice, surtout d’un point de vue des sciences humaines au sens large: les différentes races, leurs mœurs, leurs cultures, leur Histoire, Becky Chambers ne néglige pas le moindre détail au point qu’on ne s’étonnerait presque pas de croiser un aéluon au coin de la rue.

Archives de l’exode est un texte calme qui permet de souffler et de réfléchir à son propre quotidien, à ses propres habitudes. Sur un plan personnel, il y a notamment une phrase qui m’a marquée au point que je la photographie pour la retranscrire ici. Quand l’un des personnages apprend que son travail est menacé, elle écrit à son compagnon qui voyage pour son travail et lui dit : Pourquoi apprendre si tout est dans les Liens et qu’il suffit d’interroger l’IA? C’est, je trouve, une problématique terriblement actuelle et ce n’est pas la seule. Voici un exemple parmi tant d’autres de la richesse portée par les romans de cette autrice atypique dans la veine de la science-fiction. Atypique, je le précise, sur base de mes modestes connaissances du genre.

Pour résumer, Archives de l’exode est une réussite qui ne plaira certes pas à tout le monde pour son aspect très humain et social (ce qui induit une presque absence d’action) mais qui ne manque pas de qualités sur la forme comme sur le fond. Becky Chambers s’inscrit dans un nouveau genre de science-fiction typé sciences humaines pour proposer un texte riche sur bien des thématiques. À découvrir, l’expérience vaut le coup !

Publié le 13 février 2020

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