Une situation désespérée, une flotte perdue et acculée, agrémentée d’un héros décongelé, le roman possédait les atouts pour m’interpeller. Deux questions trottaient dans mon esprit. Comment, stratégiquement parlant, le commandant en chef allait-il échapper à ce guet-apens ? Comment Black Jack Geary appréhenderait-il les évolutions des mœurs, après un séjour d’un siècle dans la glace de sa capsule de survie.
Je me suis donc lancée dans l’aventure de La Flotte Perdue de Jack Campbell, réputée bas du front et trop militariste. Un véritable amateur de SF ne pourrait apprécier ce sous genre de littérature, paraît-il… D’ailleurs, aimer La Guerre Éternelle de Joe Haldeman signifierait que l’on possède une disposition d’esprit ou des facultés intellectuelles qui sont incompatibles avec l’appréciation d’un tel produit.
J’ai adoré La Guerre Éternelle, Indomptable va-t-il me satisfaire ?
L’histoire militaire regorge de faits d’armes héroïques durant lesquels de petites unités ont tenu tête à des armées entières, ou des défaites annoncées qui se sont soldées par des victoires amères. Mais bien peu d’entre eux sont de l’ampleur présentée dans La Flotte Perdue. La Grande Retraite de Russie m’est venue spontanément à l’esprit, même si l’idée de Black Jack en réincarnation de Napoléon semble peu probable. Au-delà de vastes mouvements de repli et de harcèlements continuels, aucun autre élément ne rendait la comparaison judicieuse. Puis, la Retraite des Dix Mille de Xénophon –dont Jack Campbell s’est largement inspiré – a fini par s’imposer .
Lors de la bataille de Counaxa en Mésopotamie, Cyrus leva une armée forte de plus de 10 000 hommes afin de remporter un conflit décisif contre son frère. Ce fut une déroute. Les vaincus obtinrent des pourparlers qui se soldèrent par un guet-apens, Cyrus et ses principaux conseillers furent abattus. Les 10 000 se retrouvèrent en territoire ennemi et sans ressource, dans une situation désespérée. Xenophon prit le commandement après élection des nouveaux généraux et les ramena chez eux. Le récit de cette retraite est reporté dans L’Anabase de Xénophon.
La Flotte Perdue retrace en quelque sorte ces événements jusque dans les guerres intestines ; la troisième dimension, l’espace et les batailles spatiales en sus.
L’univers proposé se dévoile au fur et à mesure des temps morts et des tomes. Un conflit long de plus d’un siècle oppose deux blocs antagonistes (encore — un reflet de la triste réalité), l’Alliance et le Syndic. Vous en donner les raisons reviendrait à déflorer la trame mise en place par l’auteur et la découverte de cette civilisation solide, bien que classique et sans grande originalité.
L’intérêt premier se concentre essentiellement autour de Black Jack Geary, ce héros retrouvé après plus de cent ans dans sa capsule de survie, décongelé et totalement désorienté. Élevé au grade le plus haut à titre posthume, son ancienneté le place d’office à la tête de la Flotte. Du moins en théorie… Une distinction dont il va s’emparer contre l’avis de certains capitaines de vaisseau. Son aura, accentuée par la légende qu’il représente, lui permet de livrer et gagner sa première bataille : la confirmation à son poste de commandant en chef (toute ressemblance avec l’Anabase n’est sans doute pas fortuite). Oui, car la démocratie règne en maître dans cet univers.
Le conflit séculaire qui oppose le Syndic et l’Alliance a épuisé de nombreuses ressources dont une vitale : les hommes compétents. Peu à peu, stratèges et tacticiens des deux bords se sont entretués laissant des populations exsangues et immatures. Le poil pousse à peine sur leur menton, que les officiers prennent la barre de mastodontes d’acier tout autant novices qu’eux (construits à la va-vite). Inutile d’insister sur la classe d’écart qu’il existe entre ces commandants en herbe et Black Jack Geary concernant l’art de la guerre.
Le lecteur profite-t-il ainsi de scènes assez cocasses devant l’atermoiement de certains et l’incrédulité de Jack. L’auteur souligne aussi par ce procédé classique l’importance de l’expérience et la nécessité d’un chef dans les moments clés.
Ce n’est pas de la Hard-SF, nous sommes vraiment dans le space opera militaire dont un des tenants du genre est la saga Honor Harrington. Jack Campbell est un ancien officier de la Navy, ses compétences et son œil d’expert transparaissent dans la maîtrise des codes martiaux, l’agencement des conflits, et les tensions liées aux combats. Les batailles – nombreuses – sont bien décrites et convaincantes, tout comme le rythme suffisamment enlevé pour ces récits.
Effectivement, les amateurs de SF spéculative et neuronale n’y trouveront pas leur compte, mais ce n’est pas l’ambition du roman (ni de l’auteur). Par contre, les lecteurs qui cherchent un bon space opera avec de l’action, des accrochages spatiaux et de l’humour devraient être comblés.
J’ai particulièrement apprécié (sur la série) de retrouver une interprétation de l’Anabase de Xénophon, et le traitement de la situation de Jack Geary.