Wagner - Le train de la réalité - Quoideneufsurmapile
Quand j’ai eu "Le train de la réalité" entre les mains, avec les
couleurs décalées sur le Teppaz, j’ai d’abord pensé que l’imprimeur
avait pris un peu de Gloire pour se donner du cœur à l’ouvrage, puis que
la couverture était en 3D (testé avec les lunettes Real D 3D, pas ça).
J’ai finalement déduit que la couverture, comme les textes dixit la
4ème, était expérimentale. Alors, expérimentons.
"Le train de la réalité" est un recueil de nouvelles uchroniques situées dans le monde de Rêves de Gloire.
Précisons qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu le roman pour apprécier
le recueil, même si ça lui donne une saveur particulière. Que
trouve-t-on sous cette étrange couverture ? Six nouvelles (+1) de
longueurs variées, entrelardées de témoignages très courts sur
l’assassinat du Général (Le Général voyons, le seul et l’unique).
Narrées à la première personne (sauf une et pour cause), elles
constituent autant de fenêtres ouvertes sur le monde uchronique de "Rêve
de Gloire". Nantis de plusieurs points de divergence, celui-ci a
largement dévié du nôtre sur les plans politique ou géopolitique (ou
musical), en revanche socialement il est assez semblable, tant les
sociétés sont d’énormes paquebots à l’inertie phénoménale. Visite donc
dans ce monde qui est autre tout en étant le nôtre.
Le lecteur croisera un philosophe borgne initiant libéralement à la
Gloire. Il prouvera involontairement que cette substance est une auberge
espagnole qui s’est faite plus grosse que le bœuf, et qu’on n’y trouve
que ce qu’on y a apporté, mis aux dimensions de l’univers.
Il rencontrera, dans un texte succulent,
un espion soviétique enterré dans une librairie SF de Marseille, entre
paranoïa, doutes marxistes, et pain du Diable, qui sauvera le grand
Albert, lui permettant ainsi d'atteindre un âge canonique et
d’intervenir dans le roman.
Il suivra la dérive violente d’un petit groupe d’intellectuels
contestataires, à travers les yeux d’une de ses membres qui brosse pour
le lecteur une histoire politique sur deux décennies. Gloire,
contestation de la société de consommation, autoritarisme, Chicago boys,
censure, presse underground, actions situationnistes spectaculaires
mais stériles (à fortiori dans une société de censure), financement
criminel, hubris mortifère, tout est là dans un récit dont
l’aboutissement politique n’est guère plus fécond que celui des radicaux
de notre réalité. Sûrement le meilleur texte du recueil.
Il verra bruler les derniers feux des derniers punks d’Alger, éclairés par la punkerie yougoslave. […]
Enfin, il suivra la carrière un peu ahurie de blousons noirs sans
conscience politique qui prouvent comme il est difficile pour
l’avant-garde d’éclairer le prolétariat. Musicalement, vissés dans leurs
prénotions rock'n'roll, ils n’adhèreront jamais aux manifestations des
nouvelles vagues anglaises et américaines (même si politiquement comme
musicalement ils savent s'adapter). Ces gens de peu de conscience, mais
habités par l’amour de la (leur) musique et du plaisir qu’elle donne,
feront à eux seuls presque toute l’histoire du rock à Alger, sans même
s’en rendre compte.
Entre ces nouvelles, les nombreuses versions de l’assassinat du Général.
Légendes, fanfaronnades, univers parallèles, tout est possible (même si
l’auteur induit, trop à mon sens, une réponse). La réunion des versions
réjouira les complotistes de tout poil.
En bonus : Une uchronie agréable à lire sur la famille de Charlie.
Je retrouve "Rêves de Gloire" dans train. Mêmes qualités : multiplicité
des points de vue, adaptation du style au point de vue (jusqu’au plus
terrib’), grande finesse d’analyses politiques transmises en peu de
mots. Même sentiment : je ne vibre vraiment qu’aux textes politiques,
même si j'ai beaucoup apprécié les rockers parce qu'ils sont justement
une forme d'infrapolitique).
Au final un livre très agréable à lire, drôle et futé, moins grave que
"Rêves de Gloire", qui lève le voile sur quelques mystères de notre
monde.
Gromovar - Quoi de neuf sur ma pile?
Publié le 5 mars 2012