L'année dernière paraissait Rêves de gloire (chroniqué par Olivier Legendre dans le Bifrost 63), lourd pavé de près de six cent pages accouché au terme d'une gestation douloureuse de quelques décennies. Une uchronie, si l'on s'en tient à la classification orthodoxe, mais une acception trop restrictive puisque Roland C. Wagner y laissait infuser quelques-unes de ses passions. Science-fiction, contre-culture, histoire du rock et physique quantique ; l'objet proposait un cocktail roboratif, entre érudition et spéculation, ne paraissant à aucun moment indigeste. Le Train de la réalité plonge à nouveau le lecteur au cœur de ces années, ces cinquante ans où la jeunesse, la musique et la drogue ont tenté de remodeler le monde dans un sens plus utopique, plus généreux, alimentant une chronique historique différente, mais au final pas si éloignée de la nôtre. Fort heureusement,Wagner ne se contente pas d'une simple redite en recyclant des chutes de son univers. Bien au contraire, il creuse son sillon, poussant un cran plus loin encore l'expérimentation. Ainsi, Le Train de la réalité n'apparaît pas comme un roman. Il n'est pas davantage un recueil de nouvelles. On se trouve en fait devant un hybride, une sorte de collage prémédité où des fragments de récit entrent en résonance les uns avec les autres et où la petite histoire alimente la Grande. En somme, un texte choral, voire quantique, où la divergence des points de vue et des formats communie autour de la thématique de la multiplicité : multiplicité des acteurs historiques et multiplicité de l'Histoire. De quoi défriser la barbe du plus orthodoxe historien marxiste. Avec Le Train de la réalité, Roland C. Wagner file la métaphore ferroviaire. Il multiplie les aiguillages et les stations, entremêlant destins collectifs et itinéraires personnels. À l'image de cette jeune femme, embarquée dans une spirale terroriste, qui finira guillotinée avant le terme naturel de son voyage. Agent dormant soviétique amateur de SF, philosophe existentialiste, dernier punk d'Alger, rockeur à la fois partout et nulle part, comme contaminé par une variété de transparence, jeune homme à la personnalité explosée par la drogue, tous passent par le confessionnal. Tous témoignent dans un registre intime, marqué par un phrasé oral, un parler écrit qui peut certes rebuter, surtout lorsqu'un accent et une tournure argotique déforment leurs mots. Tous exposent leur point de vue sur l'Histoire, avec sincérité, voire truculence, via le filtre de leur propre récit. Ainsi le hors champ devient-il l'objet de l'étude historique. Un récit multiple où les relations de causalité fluctuent au gré des témoins, dans une sorte de déterminisme flou. Au final, Roland C. Wagner gagne son pari : nous faire revisiter Rêves de gloire sous une multitude d'angles, un faisceau de probabilités, n'attendant qu'à se réaliser sous la plume de l'historien. Pour toutes ces raisons, Le Train de la réalité s'avère une lecture futée et diablement stimulante. Bref, digne d'être recommandée. Laurent Leleu Bifrost

Wagner - Le train de la réalité - Bifrost

L'année dernière paraissait Rêves de gloire (chroniqué par Olivier Legendre dans le Bifrost 63), lourd pavé de près de six cent pages accouché au terme d'une gestation douloureuse de quelques décennies. Une uchronie, si l'on s'en tient à la classification orthodoxe, mais une acception trop restrictive puisque Roland C. Wagner y laissait infuser quelques-unes de ses passions. Science-fiction, contre-culture, histoire du rock et physique quantique ; l'objet proposait un cocktail roboratif, entre érudition et spéculation, ne paraissant à aucun moment indigeste.

Le Train de la réalité plonge à nouveau le lecteur au cœur de ces années, ces cinquante ans où la jeunesse, la musique et la drogue ont tenté de remodeler le monde dans un sens plus utopique, plus généreux, alimentant une chronique historique différente, mais au final pas si éloignée de la nôtre.

Fort heureusement,Wagner ne se contente pas d'une simple redite en recyclant des chutes de son univers. Bien au contraire, il creuse son sillon, poussant un cran plus loin encore l'expérimentation. Ainsi, Le Train de la réalité n'apparaît pas comme un roman. Il n'est pas davantage un recueil de nouvelles. On se trouve en fait devant un hybride, une sorte de collage prémédité où des fragments de récit entrent en résonance les uns avec les autres et où la petite histoire alimente la Grande. En somme, un texte choral, voire quantique, où la divergence des points de vue et des formats communie autour de la thématique de la multiplicité : multiplicité des acteurs historiques et multiplicité de l'Histoire. De quoi défriser la barbe du plus orthodoxe historien marxiste.

Avec Le Train de la réalité, Roland C. Wagner file la métaphore ferroviaire. Il multiplie les aiguillages et les stations, entremêlant destins collectifs et itinéraires personnels. À l'image de cette jeune femme, embarquée dans une spirale terroriste, qui finira guillotinée avant le terme naturel de son voyage.

Agent dormant soviétique amateur de SF, philosophe existentialiste, dernier punk d'Alger, rockeur à la fois partout et nulle part, comme contaminé par une variété de transparence, jeune homme à la personnalité explosée par la drogue, tous passent par le confessionnal.

Tous témoignent dans un registre intime, marqué par un phrasé oral, un parler écrit qui peut certes rebuter, surtout lorsqu'un accent et une tournure argotique déforment leurs mots. Tous exposent leur point de vue sur l'Histoire, avec sincérité, voire truculence, via le filtre de leur propre récit. Ainsi le hors champ devient-il l'objet de l'étude historique. Un récit multiple où les relations de causalité fluctuent au gré des témoins, dans une sorte de déterminisme flou. Au final, Roland C. Wagner gagne son pari : nous faire revisiter Rêves de gloire sous une multitude d'angles, un faisceau de probabilités, n'attendant qu'à se réaliser sous la plume de l'historien. Pour toutes ces raisons, Le Train de la réalité s'avère une lecture futée et diablement stimulante. Bref, digne d'être recommandée.

Laurent Leleu
Bifrost

Publié le 11 septembre 2012

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