Avec La Récolte des enfants, Nicolas Verdan reprend la route des Balkans.

La Récolte des enfants - Le Temps
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Surtout ne vous laissez pas abuser par le titre. La Récolte des enfants de l’écrivain et journaliste vaudois Nicolas Verdan n’a rien à voir avec ces polars sordides qui utilisent l’innocence du jeune âge pour franchir une marche supplémentaire dans la perversité et l’horreur. Alors oui, soyons honnêtes, des enfants ballottés par l’histoire, malmenés par l’avidité et les pulsions humaines, il y en a dans ce roman noir. Mais toujours évoqués de façon respectueuse et pudique.
L’auteur –né en 1971 à Vevey de père suisse et de mère grecque – a choisi subtilement d’inscrire son récit comme en écho symbolique à la pratique ancestrale du devchirmé turc, appelé aussi pédomazoma en grec.


Arrachés à leurs parents

De quoi s’agit-il? D’un terrible impôt, le tribut du sang, imposé jusqu’au début du XIXe siècle par l’occupant turc aux populations chrétiennes des Balkans, d’Anatolie, d’Arménie et de Géorgie. « Un fonctionnaire ottoman accompagné d’une escorte militaire allait de village en village et ordonnait aux soldats d’emmener les fils aînés et les plus belles filles, les arrachant ainsi à leur famille », explique Nicolas Verdan au début de son livre. Un traumatisme, précise-t-il, qui resurgira un siècle plus tard quand, après la Seconde Guerre mondiale, des enfants grecs furent à nouveau brutalement arrachés à leurs parents, d’une part par la reine Frédérique qui souhaitait en faire de bons royalistes, de l’autre par les communistes pour des raisons contraires, mais similaires.
Voilà pour le cœur de ce roman complexe et magistralement construit. Qui est aussi une suite. La suite du Mur grec, paru en 2015 chez Bernard Campiche, re publié en France en 2022 par L’Atalante, et qui sort cet automne en poche. Dans La Récolte des enfants, on retrouve donc l’agent du Service national de renseignements grecs Evangelos Moutzouris, désormais retraité. Sa fille unique Andromède – qui vit à Zurich avec son mari et leur fille Zoi, âgée de 15 ans – lui a offert un billet d’avion pour venir passer Noël avec eux, avant qu’ils ne retournent s’établir en Grèce. Andromède et sa famille rentreront au pays en avion. Evangelos, lui, a pour mission de faire le voyage du retour avec la voiture de sa fille. Et c’est bien sûr au cours de ce voyage a priori totalement anodin que tout se détraque. A peine a-t-il quitté l’Italie qu’Evangelos apprend que sa petite-fille a disparu. Et la nouvelle tombe particulièrement mal. Toujours curieux et aventureux, notre retraité s’est offert un petit détour par l’Albanie, histoire de mieux profiter du voyage. Un détour qui nous vaut peut-être les plus belles pages du roman: une pittoresque traversée sur «un navire armé pour la nostalgie», suivie par un périple des plus épiques à travers les mon- tagnes enneigées. Et comme un malheur ne vient jamais seul, Evangelos, bien malgré lui, se retrouve aussi mêlé à l’enlèvement d’un jeune enfant dont la mère, radicalisée, a choisi de rejoindre l’Etat islamique en Syrie.

Dans la lignée de Simenon

En un claquement de doigts, notre homme redevient alors le fin limier qu’il a toujours été. Au péril de sa vie, il finit donc par dénouer la pelote de pistes et d’indices particulièrement embrouillée que lui a concoctée l’auteur. Avec malice et affection.
Car Nicolas Verdan ne juge pas. Il ignore avec panache la classique opposition entre les bons et les méchants. « J’éprouve effectivement de l’empathie pour chacun de mes personnages, nous confirme-t-il lors d’un chaleureux entretien. Sur ce point, je m’inscris donc clairement dans la ligne d’un écrivain comme Simenon. » Ses autres modèles? « Valerio Varesi pour les atmosphères et la sensibilité, et l’école américaine pour la construction et la rigueur. » Une leçon parfaitement intégrée. La Récolte des enfants se découvre en effet comme une riche superposition de strates, de pistes et de thèmes, avec des sous-couches, des temporalités différentes, des retours en arrière, et quelques digressions. D’autres s’y seraient perdus et le lecteur à leur suite. Non content de s’en sortir avec brio, Nicolas Verdan en tire, lui, une fascinante et presque vertigineuse épaisseur narrative.

Un port chinois au Pirée

Il est vrai que cet « hyperactif sur le plan de l’écriture », comme il se voit lui-même, ne laisse rien au hasard. Non seulement, il construit soigneusement son intrigue mais, en bon journaliste, il enquête et se rend sur place pour des repérages. Son prochain livre, une troisième enquête à paraître elle aussi chez Atalante, aura pour décor le gigantesque port construit par les Chinois au Pirée. L’occasion notamment de rappeler que les liens des Grecs avec ce pays lointain ne datent pas d’aujourd’hui, qu’ils existaient déjà à l’époque des colonels et des Mao.
Dans ce nouveau roman policier, il sera tout naturellement question d’écologie, d’environnement et de violence policière mais également, en arrière-plan, de la ville d’Eleusis et de ses fameux mystères. « Je suis assez tourné vers le passé, avoue l’écrivain. Écouter ses voix me permet en effet de mieux comprendre le présent. »

Mireille Descombes

Publié le 23 octobre 2023

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