Nicolas Verdan déroule un narratif politique et social, sans tomber dans le cliché ou le jugement face aux différents systèmes de valeurs qui composent notre monde.

La Récolte des enfants - Le Regard Libre
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Que signifie vouloir le "bien" d'un enfant en période de crise politique et de perte de repères idéologiques ? C'est l'une des questions sous-jacentes posées dans le nouveau polar de Nicolas Verdan. Un voyage thématique sur l'influence des réseaux de propagande à travers le temps.

L'histoire aurait pu être pliée en quelques pages. Andromède, son mari Dimitris et sa fille Zoi prévoient de retourner s'installer en Grèce après avoir vécu une quinzaine d'années à Zurich. Le grand-père grec, Evangelos, est alors mandaté pour ramener la voiture familiale au pays. Un long périple est prévu jusqu'en Italie, avant la dernière étape en ferry pour gagner la Grèce. Mais ça, c'est sur le papier.

Tout d'abord, parce qu'au dernier moment, le retraité décide de rejoindre l'Albanie avant de passer la frontière grecque. Et puis parce qu'en chemin, il apprend que sa petite-fille Zoi a disparu. Cet ancien agent des renseignements ne peut alors s'empêcher de mener l'enquête. Il décide de traverser l'Europe pour trouver la vérité.

Des victimes collatérales

Dans Le mur grec, premier tome des aventures de l'agent Evangelos, l'écrivain valdo-grec nous avait amenés à la frontière avec la Turquie pour comprendre les dessous de la migration. Avec La Récolte des enfants, Nicolas Verdan nous fait voyager dans les Balkans, carrefour des cultures européennes, chrétiennes, slaves et musulmanes (pour ne citer qu'elles). Et il s'attaque à une réflexion sur l'enfance en période de crises politiques, partant d'un postulat glaçant : de tout temps, les enfants ont été les victimes collatérales de réseaux d'influences. Pris entre différentes conceptions du bien.

C'était le cas dans l'Empire ottoman, jusqu'au début du XIXe siècle, alors que de petits chrétiens étaient "récoltés" de village en village dans les Balkans. Ils étaient arrachés à leur famille suffisamment jeunes pour être convertis sans peine à l'islam, mais suffisamment robustes pour devenir rapidement des soldats.

C'était également le cas pendant la guerre civile grecque au milieu du siècle passé, où chaque camp – les partisans du communisme et ceux du régime monarcho-fasciste – enlevait les enfants de leurs opposants respectifs pour les extraire d'idéologies néfastes. Les uns étaient remis au petit père des Peuples Staline, en tant qu'enfants de la révolution. Les autres rejoignaient la mère des orphelins sauvés de Grèce, la reine Frédérique.

C'était encore le cas pendant plus d'un siècle en suisse avec les enfants arrachés à leurs parents dans le cadre de mesures de protection de la jeunesse. Aujourd'hui reconnus comme victimes, ces jeunes individus étaient à l'époque placés dans des familles d'accueils, parfois dans des foyers de religieuses. Avec souvent des maltraitances à la clef.

Enfin, c'est peut-être à nouveau le cas dans la prise en otage de notre attention par les réseaux sociaux. Menant les moins armés parmi nous à certaines dérives.

Dans quelle rafle la petite fille de l'Agent Evangelos est-elle la victime ? La réponse n'est pas si simple et c'est ce qui donne de l'épaisseur à ce roman policier, intelligemment ficelé. Car dans La Récolte des enfants, Nicolas Verdan déroule un narratif politique et social, sans tomber dans le cliché ou le jugement face aux différents systèmes de valeurs qui composent notre monde.

Publié le 28 février 2024

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