Si l’on observe une genre de roman en France qui peine à s’imposer, c’est bien le roman d’horreur. Excepté Stephen King, il faut se lever tôt pour trouver un bouquin horrifique qui se vend.
Ce ne sont pourtant pas les excellents auteurs qui manquent à l’appel ! Brian Evenson, Stephen Graham Jones ou encore Mariana Enriquez sont autant de grands noms qui n’ont pas à rougir de la comparaison.
Pour cette rentrée littéraire, deux parutions tentent de relancer le genre : L’Atlas de l’Enfer de Nathan Ballingrud chez le Fruit Amer, label des Moutons Électriques, et Après toi, les ténèbres de Gus Moreno chez l’Atalante. C’est de ce dernier que nous allons parler aujourd’hui et vous ne regarderez plus votre assistant vocal de la même façon après !
Gus Moreno est un inconnu sous nos latitudes, et l’Américain compte bien faire une entrée remarquée sur la scène littéraire française avec son premier roman intitulé Après toi, les ténèbres dans la langue de Molière (et qui constitue un bien étrange choix de traduction pour son titre original This Thing Between Us). Très court — à peine 220 pages — il nous raconte la lutte de son personnage principal, Thiago, pour affronter le décès brutal de sa compagne, Vera. Au cours des premières pages, on pénètre dans les pensées et les émotions de Thiago qui parle à la première personne du singulier et semble s’adresser à sa défunte épouse à travers nous.
C’est le temps de la mise en terre, des concessions à la belle-famille et des hommages un peu hypocrites.
Thiago ne sait plus quoi penser, il souffre de toutes les fibres de son corps, tente de réaligner le présent sans Vera et le passé avec Vera.
Une conciliation impossible mais qu’on tente tout de même, parce que l’acceptation n’est pas encore à l’ordre du jour.
Sur ce récit de deuil très brut et touchant, Gus Moreno va venir nous raconter une autre histoire, plus fantastique, plus horrifique.
Thiago nous rapporte petit à petit les évènements étranges qui se sont produits lors de l’installation du couple dans un appartement de Chicago.
Des faits anodins qui vont culminer avec l’emploi d’une Itza (une sorte d’assistance vocal type Alexa) qui se met doucement à dérailler. Cela commence par des phrases énigmatiques pour finir par des commandes à répétition qui n’ont aucun sens. Et cette étrange impression que quelque chose habite dans ce fatras de métal haute technologie.
Tout cela n’aurait pu être qu’une mauvaise blague jusqu’au fameux accident qui coûte la vie à Vera et qui va remettre tout en cause.
Il ne reste qu’une seule solution à Thiago : fuir.
Seulement voilà, même au milieu de nul part, dans un chalet près des bois, quelque chose poursuit Thiago, quelque chose de terrible et qui cherche les ténèbres qui habite notre narrateur depuis le décès de sa compagne.
Si la langue est belle et que l’émotion est vive, le fantastique reste assez conventionnel dans Après toi, les Ténèbres. Heureusement pour le récit, Moreno n’a pas peur des scènes qui marquent, à base de chien enragé et de créatures démoniaques capables de vous aspirer. Efficace, pour sûr.
Si l’on aime la progression fantastique qui va crescendo, ce qui semble définitivement le plus réussi là-dedans, c’est la description de la perte de l’être aimé et cette capacité presque surnaturelle de Moreno pour parler d’un deuil impossible. Comment se reconstruire après une telle tragédie ?
D’autant plus quand notre propre culpabilité semble prendre corps et crocs… Jusqu’à la fin, on suit un homme brisé qui trouve l’appui inattendu, mais fort, d’une belle-mère qu’il croyait ennemi.
La malédiction pourtant ne le laisse pas en paix et Gus Moreno sait que les actes et les souvenirs se mélangent, qu’il en reste une bouillie infâme où l’on ne distingue plus le vrai du faux.
Le sang qui coule dans les veines de Thiago est peut-être maudit, son destin peut-être écrit, mais son amour lui, reste incandescent malgré les drames, les morts et les démons.
Peut-on éviter d’aller droit dans le mur ?
Peut-on en sortir un jour ?
Rien n’est moins sûr.
Dans ce très bon roman fantastique, vous trouverez de l’horreur à l’état brut et un deuil qui ronge jusqu’à l’os. Grâce à une écriture précise et sincère, Gus Moreno emporte l’adhésion du lecteur en quête de frissons et d’émotions.
Note : 8/10
Nicolas Winter