Le deuil, la mort, des sujets universels que Gus Moreno arrive à développer de manière singulière. Après toi, les ténèbres est un roman inclassable, s’appuyant sur le récit de la mort brutale et inattendue de l’être cher, sur l’affliction du conjoint. Avant de prendre une direction inattendue, entre fantastique et horrifique.
Aucun doute, pour un premier roman, l’auteur arrive à imprimer sa patte, à déchirer cette histoire de sa griffe.
Tutoiement
Premier étonnement dès le début de lecture, le récit est écrit à la deuxième personne du singulier, le mari s’adressant à sa défunte femme. Une manière de faire passer ses émotions, se souvenir comme s’épancher. Le procédé surprend, les paragraphes mêlant passé et présent, sentiments et informations. Un côté fourre-tout qui déstabilise les premiers temps, avant prendre de peu à peu tout sa signification.
Le sort, le trouble, l’abattement, le désarroi de Thiago touchent, émeuvent. C’est un homme perdu, qui culpabilise, qui a vu disparaître une part de lui-même. Avant toute idée de reconstruction, il ressent toute la douleur de cet arrachement.
Omniprésence de l’absence
« Quand tu es morte, je t’ai pleurée, mais j’ai aussi dit adieu à la version de moi-même qui t’accompagnait. Il y a eu deux décès ». Cette phrase résume à elle seule le chamboulement d’un tel évènement.
« Je me suis écarté pour te laisser regarder avant de me rappeler que tu étais morte ». L’omniprésence de l’absente touche au cœur, l’écrivain arrivant à cerner cette souffrance avec force et émotion, à en tirer ce qui en fait la nature et l’insaisissable substance.
Drame personnel et surnaturel
Pourtant, ce roman qui n’aurait pu être qu’une touchante complainte vire assez rapidement à autre chose, de manière indéfinissable. Tout avait commencé avant le décès de Vera par d’étranges bruits dans leur appartement, et par leur enceinte d’assistance personnelle qui perd les pédales.
L’ambiance vire rapidement du drame personnel au surnaturel, voire à l’horreur parfois. Thiago a beau déménager au milieu de nulle part, les phénomènes ne font que s’accentuer, jusqu’à devenir le centre d’une intrigue oppressante.
Qui fait sens
J’aime quand le fantastique s’invite, celui qui fait sens, loin d’être gratuit. Avec un auteur qui déstabilise et ose, mélanger les genres comme insuffler un sang nouveau.
Le récit en devient aussi terrifiant que profondément humain, la tension montant crescendo, les scènes étonnantes (et parfois violentes) s’enchaînant, imprévisibles, toujours avec une certaine distance prise par la narration (rappelez-vous que c’est écrit avec le « tu »).
Court et intense
[...] Cette lecture à la fois pesante et émouvante laissera clairement des traces. Après toi, les ténèbres est un roman singulier, et Gus Moreno une voix qui s’affirme dès son premier roman. Une court mais intense roman, une vraie expérience littéraire, à tenter assurément.
C’est encore une bonne pioche de l’éditeur L’Atalante qui arrive décidément à nous dénicher des romans atypiques qui ne laissent pas indifférent (souvenons-nous du formidable Méduse de Martine Desjardins en 2023).