Dans L’Entité 0247 , un techno-thriller d’anticipation tendu, vitaminé et néanmoins intelligent dont nous avions dit l’an dernier le plus grand bien, Patrick Lee mettait en scène Travis Chaise, ancien policier, et Paige Campbell, membre d’une organisation ultra-secrète nommée Tangent, dans une aventure en relation avec une mystérieuse « Brèche » par laquelle apparaissaient des artefacts d’origine inconnue.   Sous une élégante illustration de couverture de David Demaret, qui n’est pas sans rappeler les compositions post-apocalyptiques de Vladimir Manyuhin, les éditions l’Atalante nous proposent, avec Le Pays fantôme , la seconde aventure de Travis Chase et Paige Campbell. Mais si l’auteur s’appuie sur quelques-uns des éléments abordés dans L’entité 0247,  notamment sur l’existence de la fameuse « Brèche » et de ses propriétés, il a de toute évidence pris soin de concevoir Le Pays fantôme comme une aventure indépendante se déroulant deux années plus tard, et destinée à pouvoir être lue par qui ne connaît ni le passé des personnages ni le contexte dans lequel ils évoluaient.   Parmi les artefacts étudiés par Paige Campbell se trouvent deux cylindres jumeaux aux propriétés ahurissantes. Ils ouvrent une sorte de passage sur un futur vers lequel l’on peut aller et duquel il est possible de revenir. L’étude méthodique et scientifique menée par Paige et son équipe établissent la distance chronologique de ce futur : soixante-treize ans plus tard. Et dans ce futur le monde n’existe plus, ou tout du moins plus vraiment : les États-Unis ne sont plus que ruines désertes, les satellites ne fonctionnent plus, les radios, le réseau, tout est muet. Aucune trace de combat, d’explosion, d’épidémie, de quelque catastrophe que ce soit : comme si la population entière avait, du jour au lendemain, disparu. Et il est bien difficile, des décennies plus tard, de trouver des traces d’information pérennes. Tout ce que l’on sait est que quelque chose se serait passé à Yuma. Et que ce qui est survenu – qui surviendra – n’est pas arrivé dans ce lointain futur, mais seulement quatre mois après le présent.   Paige Campbell et les responsables de Tangent n’hésitent pas une seule seconde : ils préviennent le Président des États-Unis. Leur idée n’était peut-être pas excellente : sur le chemin du retour, ils sont attaqués, pour la plupart, tués et Paige Campbell enlevée. Une collaboratrice de Tangent, Bethany, contacte, suite au dernier message de Paige, Travis Chaise qui avait quitté l’organisation deux ans auparavant. Sans tarder, tous deux se mettent en chasse. Seuls contre le Président des États-Unis, ses réseaux, ses assassins, ils retrouveront Paige et préviendront – du moins l’espèrent-ils – cette extraordinaire catastrophe dont ils ignorent presque tout.   S’engage alors, suivant un schéma classique, une lutte implacable entre quelques-uns et presque tous. Les héros disposent d’un artefact, leurs ennemis également. Mais il ne s’agit pas d’un de ces récits désormais convenus où la machine à voyager dans le temps permet de modifier le futur. D’une part, les dates de départ et de retour sont figées. D’autre part, Patrick Lee introduit la notion de « futur bloqué » : « L’avenir que nous montrent les cylindres, c’est comme un instantané de celui vers lequel on se dirigeait à l’instant où on les a mis en route pour la première fois. On peut donc toujours sauver le monde, mais l’avenir qu’on voit de l’autre côté restera en ruine. » Les protagonistes jouent donc leurs coups à l’aveugle, sans savoir si leurs actes sont les bons, si la catastrophe sera ou non évitée.   Si Le Pays fantôme ne renouvelle pas les vertiges logiques et métaphysiques de L’Entité 0247, il apparaît néanmoins passablement retors. Course-poursuite permanente entre les deux camps, jeu d’échecs sans cesse répété où chacun essaye de prendre un coup d’avance en prévoyant le comportement de l’adversaire, Le Pays fantôme  est un roman bourré d’astuce et d’action, où nul ne se fait le moindre cadeau. Que ce soit dans le présent ou dans le futur, l’enjeu est suffisamment important pour les dialogues y soient menés le plus souvent par des protagonistes aux doux patronymes tels que Remington, Sig Sauer et autres Beretta. Ça dézingue et défourraille donc à tout va et dans tous les sens, et s’obstine à démolir encore un peu plus les ruines du futur. Et quand il s’y met, Patrick Lee ne se contente pas de la scène d’action du pauvre : il ne faut pas exploser ou brûler une voiture, mais une ville entière et quelques millions de véhicules d’un seul coup. Il faut dire aussi que la machination en cours ne met pas en jeu la vie de quelques dizaines ou centaines de personnes, mais rien moins que quelques milliards.   Action, high-tech, complot d’état, traques incessantes, suspense perpétuel, note de science-fiction, pointe de romance et personnages sans scrupules : là ne sont pas les seuls atouts d’un récit qui mêle avec bonheur l’ensemble de ces ingrédients. S’il fallait ne retenir qu’une seule qualité à ce roman, ce serait le caractère parfaitement huilé, et parfaitement efficace, d’une dynamique capable de happer le lecteur dès le premier chapitre et de le tenir en haleine jusqu’à la fin. Avec habileté, Patrick Lee mélange les éléments que le lecteur parvient à deviner avec un très léger temps d’avance sur les héros, les astuces dont les protagonistes feront preuve avant qu’il n’ait eu le temps lui-même de les imaginer, et les révélations que nul n’aurait su anticiper.   Si la fin de L’Entité 0247 laissait l’amateur de genre occupé à démêler l’écheveau de la complexité générée par une redistribution incessante des cartes, Le Pays Fantôme se révèle en définitive tout aussi tendu, mais moins cérébral, et apparaît comme une parenthèse entre la conclusion du premier roman et – il est permis de le supposer – le développement du troisième. Car le dernier chapitre se termine sur une fin suffisamment ouverte, et sur un aperçu d’une période suffisamment longue pour qu’il y ait matière à de nouveaux développements.   On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que Patrick Lee a publié outre-Atlantique un nouvel opus intitulé Deep Sky , qui met en scène Travis Chase et Paige Campbell, et dont on devine qu’il viendra apporter quelques réponses aux énigmes soulevées dans L’Entité 0247. Nul doute que les éditions l’Atalante, qui ont eu l’heureuse idée d’inscrire les deux premiers romans de Patrick Lee à leur catalogue, ne manqueront pas d’y ajouter ce très attendu Deep Sky dans un bref avenir.   Alaric Mythologica

Lee - Le Pays Fantôme - Mythologica
Dans L’Entité 0247 , un techno-thriller d’anticipation tendu, vitaminé et néanmoins intelligent dont nous avions dit l’an dernier le plus grand bien, Patrick Lee mettait en scène Travis Chaise, ancien policier, et Paige Campbell, membre d’une organisation ultra-secrète nommée Tangent, dans une aventure en relation avec une mystérieuse « Brèche » par laquelle apparaissaient des artefacts d’origine inconnue.
 
Sous une élégante illustration de couverture de David Demaret, qui n’est pas sans rappeler les compositions post-apocalyptiques de Vladimir Manyuhin, les éditions l’Atalante nous proposent, avec Le Pays fantôme , la seconde aventure de Travis Chase et Paige Campbell. Mais si l’auteur s’appuie sur quelques-uns des éléments abordés dans L’entité 0247,  notamment sur l’existence de la fameuse « Brèche » et de ses propriétés, il a de toute évidence pris soin de concevoir Le Pays fantôme comme une aventure indépendante se déroulant deux années plus tard, et destinée à pouvoir être lue par qui ne connaît ni le passé des personnages ni le contexte dans lequel ils évoluaient.
 
Parmi les artefacts étudiés par Paige Campbell se trouvent deux cylindres jumeaux aux propriétés ahurissantes. Ils ouvrent une sorte de passage sur un futur vers lequel l’on peut aller et duquel il est possible de revenir. L’étude méthodique et scientifique menée par Paige et son équipe établissent la distance chronologique de ce futur : soixante-treize ans plus tard. Et dans ce futur le monde n’existe plus, ou tout du moins plus vraiment : les États-Unis ne sont plus que ruines désertes, les satellites ne fonctionnent plus, les radios, le réseau, tout est muet. Aucune trace de combat, d’explosion, d’épidémie, de quelque catastrophe que ce soit : comme si la population entière avait, du jour au lendemain, disparu. Et il est bien difficile, des décennies plus tard, de trouver des traces d’information pérennes. Tout ce que l’on sait est que quelque chose se serait passé à Yuma. Et que ce qui est survenu – qui surviendra – n’est pas arrivé dans ce lointain futur, mais seulement quatre mois après le présent.
 
Paige Campbell et les responsables de Tangent n’hésitent pas une seule seconde : ils préviennent le Président des États-Unis. Leur idée n’était peut-être pas excellente : sur le chemin du retour, ils sont attaqués, pour la plupart, tués et Paige Campbell enlevée. Une collaboratrice de Tangent, Bethany, contacte, suite au dernier message de Paige, Travis Chaise qui avait quitté l’organisation deux ans auparavant. Sans tarder, tous deux se mettent en chasse. Seuls contre le Président des États-Unis, ses réseaux, ses assassins, ils retrouveront Paige et préviendront – du moins l’espèrent-ils – cette extraordinaire catastrophe dont ils ignorent presque tout.
 
S’engage alors, suivant un schéma classique, une lutte implacable entre quelques-uns et presque tous. Les héros disposent d’un artefact, leurs ennemis également. Mais il ne s’agit pas d’un de ces récits désormais convenus où la machine à voyager dans le temps permet de modifier le futur. D’une part, les dates de départ et de retour sont figées. D’autre part, Patrick Lee introduit la notion de « futur bloqué » : « L’avenir que nous montrent les cylindres, c’est comme un instantané de celui vers lequel on se dirigeait à l’instant où on les a mis en route pour la première fois. On peut donc toujours sauver le monde, mais l’avenir qu’on voit de l’autre côté restera en ruine. » Les protagonistes jouent donc leurs coups à l’aveugle, sans savoir si leurs actes sont les bons, si la catastrophe sera ou non évitée.
 
Si Le Pays fantôme ne renouvelle pas les vertiges logiques et métaphysiques de L’Entité 0247, il apparaît néanmoins passablement retors. Course-poursuite permanente entre les deux camps, jeu d’échecs sans cesse répété où chacun essaye de prendre un coup d’avance en prévoyant le comportement de l’adversaire, Le Pays fantôme  est un roman bourré d’astuce et d’action, où nul ne se fait le moindre cadeau. Que ce soit dans le présent ou dans le futur, l’enjeu est suffisamment important pour les dialogues y soient menés le plus souvent par des protagonistes aux doux patronymes tels que Remington, Sig Sauer et autres Beretta. Ça dézingue et défourraille donc à tout va et dans tous les sens, et s’obstine à démolir encore un peu plus les ruines du futur. Et quand il s’y met, Patrick Lee ne se contente pas de la scène d’action du pauvre : il ne faut pas exploser ou brûler une voiture, mais une ville entière et quelques millions de véhicules d’un seul coup. Il faut dire aussi que la machination en cours ne met pas en jeu la vie de quelques dizaines ou centaines de personnes, mais rien moins que quelques milliards.
 
Action, high-tech, complot d’état, traques incessantes, suspense perpétuel, note de science-fiction, pointe de romance et personnages sans scrupules : là ne sont pas les seuls atouts d’un récit qui mêle avec bonheur l’ensemble de ces ingrédients. S’il fallait ne retenir qu’une seule qualité à ce roman, ce serait le caractère parfaitement huilé, et parfaitement efficace, d’une dynamique capable de happer le lecteur dès le premier chapitre et de le tenir en haleine jusqu’à la fin. Avec habileté, Patrick Lee mélange les éléments que le lecteur parvient à deviner avec un très léger temps d’avance sur les héros, les astuces dont les protagonistes feront preuve avant qu’il n’ait eu le temps lui-même de les imaginer, et les révélations que nul n’aurait su anticiper.
 
Si la fin de L’Entité 0247 laissait l’amateur de genre occupé à démêler l’écheveau de la complexité générée par une redistribution incessante des cartes, Le Pays Fantôme se révèle en définitive tout aussi tendu, mais moins cérébral, et apparaît comme une parenthèse entre la conclusion du premier roman et – il est permis de le supposer – le développement du troisième. Car le dernier chapitre se termine sur une fin suffisamment ouverte, et sur un aperçu d’une période suffisamment longue pour qu’il y ait matière à de nouveaux développements.
 
On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que Patrick Lee a publié outre-Atlantique un nouvel opus intitulé Deep Sky , qui met en scène Travis Chase et Paige Campbell, et dont on devine qu’il viendra apporter quelques réponses aux énigmes soulevées dans L’Entité 0247. Nul doute que les éditions l’Atalante, qui ont eu l’heureuse idée d’inscrire les deux premiers romans de Patrick Lee à leur catalogue, ne manqueront pas d’y ajouter ce très attendu Deep Sky dans un bref avenir.
 
Alaric
Publié le 2 mai 2012

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