Il me semble que, depuis quelques années, les thèmes de la fantasy se renouvellent : finis les sempiternels dragons, nains, elfes et autres trolls évoluant dans un environnement pseudo-moyenâgeux, avec des chevaliers droits dans leurs bottes. Les sociétés changent d’époque, les mages suivent souvent des règles d’utilisation de la magie fort strictes qui se transforme en une énergie d’un autre type, les héros sont plus souvent des anti-héros. C’est le cas dans l’excellent roman de Douglas Hulick, Les Princes de la pègre (premier tome des Bas-Fonds d’Ildrecca, L’Atalante). Comme l’indique le titre de la série, l’auteur nous emmène dans la cité d’Ildrecca, sorte de ville italienne de la fin de la Renaissance, dans laquelle les habitants portent pourpoints et hauts-de-chausses à crevés et où l’on se bat à l’épée et la dague. Ildrecca est la capitale de l’Empire, un empire à la fois immuable car, depuis trois cents ans, règnent à tour de rôle les trois incarnations - Markinos, Théodoï et Lucien - de l’Empereur Stephen Dorminikos, et déchiré car les incarnations deviennent de plus en plus paranoïaques. Et, dans les bas-fonds de la ville, ce qui est en bas étant comme ce qui est en haut, règne la Famille, l’ensemble des bandes et clans de la pègre, regroupés autour de chefs divers dans chaque quartier ("cordon" dans le roman), sous l’autorité des "princes gris" depuis que l’Empereur a fait exécuter le premier et le seul "roi noir". Toute une hiérarchie existe au sein de la canaille qui parle un langage particulier et fleuri, qui ne constitue pas l’un des moindres attraits du roman. Drothe, nez (c’est-à-dire informateur chargé de faire le tri dans les rumeurs) du chef de gang Nicco, et trafiquant occasionnel de reliques impériales (activité criminelle à haut risque...), va remonter la piste d’un livre qui semble attirer l’attention de nombreux personnages puissants et laisse dans son sillage une traînée de cadavres. Petit à petit, aidé de son ami Bronze Dégane (combattant d’élite d’un ordre mercenaire) et du puissant magicien à gages djanais Jelem, il va se retrouver à son corps défendant acteur manipulé et manipulateur de la chasse au journal d’Ioclaudia, l’une des magiciennes du dernier Empereur unique, journal qui recèle apparemment des secrets si vitaux que rien ne peut se mettre en travers de son acquisition. Cela nous donne près de 500 pages d’une action serrée, où l’auteur met en scène non seulement les principaux protagonistes déjà cités mais aussi toute une galerie de personnages d’une densité impressionnante, que ce soit Christiana, ex-courtisane devenue baronne et soeur de Drothe, Kells, chef de gang et ennemi juré de Nicco, et d’autres dont je ne vous parlerai pas afin de ne pas vous dévoiler les ressorts de l’intrigue. L’auteur nous fait aussi découvrir le petit peuple, que ce soient les travailleurs ou les truands, coupe-jarrets et autres mendiants qui forment la lie mais aussi la vie et l’âme de la cité. Tout cela contribue à rendre le roman très réaliste, d’autant plus que nous découvrons petit à petit la complexité et les rouages de cette société où l’usage de la magie est sévèrement codifié et réprimé, où chacun connaît la place qui est la sienne et où, comme dans toute société, le changement tend à faire peur. C’est aussi, et surtout, une belle histoire humaine, celle de Drothe, ou comment peut-on être un petit truand et un homme bien, "honorable" ! Je terminerai en soulignant le beau travail de traduction de Florence Bury qui a su très bien rendre en français l’argot de la pègre et le ton du roman voulu par l’auteur. De la grande fantasy adulte, bien écrite et prenante, un auteur et un roman à découvrir.  Jean-Luc Rivera Les coups de cœur

Hulick - Princes de la pègre - Les coups de cœur de Jean-Luc Rivera

Il me semble que, depuis quelques années, les thèmes de la fantasy se renouvellent : finis les sempiternels dragons, nains, elfes et autres trolls évoluant dans un environnement pseudo-moyenâgeux, avec des chevaliers droits dans leurs bottes. Les sociétés changent d’époque, les mages suivent souvent des règles d’utilisation de la magie fort strictes qui se transforme en une énergie d’un autre type, les héros sont plus souvent des anti-héros. C’est le cas dans l’excellent roman de Douglas Hulick, Les Princes de la pègre (premier tome des Bas-Fonds d’Ildrecca, L’Atalante). Comme l’indique le titre de la série, l’auteur nous emmène dans la cité d’Ildrecca, sorte de ville italienne de la fin de la Renaissance, dans laquelle les habitants portent pourpoints et hauts-de-chausses à crevés et où l’on se bat à l’épée et la dague. Ildrecca est la capitale de l’Empire, un empire à la fois immuable car, depuis trois cents ans, règnent à tour de rôle les trois incarnations - Markinos, Théodoï et Lucien - de l’Empereur Stephen Dorminikos, et déchiré car les incarnations deviennent de plus en plus paranoïaques. Et, dans les bas-fonds de la ville, ce qui est en bas étant comme ce qui est en haut, règne la Famille, l’ensemble des bandes et clans de la pègre, regroupés autour de chefs divers dans chaque quartier ("cordon" dans le roman), sous l’autorité des "princes gris" depuis que l’Empereur a fait exécuter le premier et le seul "roi noir". Toute une hiérarchie existe au sein de la canaille qui parle un langage particulier et fleuri, qui ne constitue pas l’un des moindres attraits du roman. Drothe, nez (c’est-à-dire informateur chargé de faire le tri dans les rumeurs) du chef de gang Nicco, et trafiquant occasionnel de reliques impériales (activité criminelle à haut risque...), va remonter la piste d’un livre qui semble attirer l’attention de nombreux personnages puissants et laisse dans son sillage une traînée de cadavres. Petit à petit, aidé de son ami Bronze Dégane (combattant d’élite d’un ordre mercenaire) et du puissant magicien à gages djanais Jelem, il va se retrouver à son corps défendant acteur manipulé et manipulateur de la chasse au journal d’Ioclaudia, l’une des magiciennes du dernier Empereur unique, journal qui recèle apparemment des secrets si vitaux que rien ne peut se mettre en travers de son acquisition. Cela nous donne près de 500 pages d’une action serrée, où l’auteur met en scène non seulement les principaux protagonistes déjà cités mais aussi toute une galerie de personnages d’une densité impressionnante, que ce soit Christiana, ex-courtisane devenue baronne et soeur de Drothe, Kells, chef de gang et ennemi juré de Nicco, et d’autres dont je ne vous parlerai pas afin de ne pas vous dévoiler les ressorts de l’intrigue. L’auteur nous fait aussi découvrir le petit peuple, que ce soient les travailleurs ou les truands, coupe-jarrets et autres mendiants qui forment la lie mais aussi la vie et l’âme de la cité. Tout cela contribue à rendre le roman très réaliste, d’autant plus que nous découvrons petit à petit la complexité et les rouages de cette société où l’usage de la magie est sévèrement codifié et réprimé, où chacun connaît la place qui est la sienne et où, comme dans toute société, le changement tend à faire peur. C’est aussi, et surtout, une belle histoire humaine, celle de Drothe, ou comment peut-on être un petit truand et un homme bien, "honorable" !

Je terminerai en soulignant le beau travail de traduction de Florence Bury qui a su très bien rendre en français l’argot de la pègre et le ton du roman voulu par l’auteur.

De la grande fantasy adulte, bien écrite et prenante, un auteur et un roman à découvrir. 

Jean-Luc Rivera
Les coups de cœur

Publié le 21 août 2012

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