La balle du néant est un concentré de qualités : inventivité, érudition, humour, rythme. Je ne peux que vous le recommander, chaudement. Quant à moi, je prends la résolution de continuer à relire Wagner.

La balle du néant - Mondes de Poche
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La balle du néant est d’abord un hommage vibrant aux polars. Je ne vais pas lister toutes les références car la chronique serait sensiblement plus longue (excuse malhonnête pour ne pas admettre que je suis loin d’être spécialiste) mais Roland C. Wagner se projette probablement dans son personnage, Temple Sacré de l’Aube Radieuse, quand ce dernier fait référence notamment à son auteur préféré, Léo Malet et son personnage Nestor Burma. Wikipédia m’apprend d’ailleurs que le nom du cycle, Les futurs mystères de Paris, dont ce roman est le premier volume (mais l’histoire est auto-contenue), est en réalité un clin d’œil très appuyé aux Nouveaux mystères de Paris dudit Léo Malet. Tout au long du roman, Tem, lui-même détective privé, se demande ce que ferait Nestor Burma à sa place et a une tendance nette à ne pas s’estimer à la hauteur de son modèle. Autre référence, l’intrigue est centrée sur un « mystère en chambre close », un grand classique du polar, dont l’itération la plus célèbre, voire réussie, est probablement Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux. Pourtant, il n’a pas à rougir avec ses prédécesseurs : l’intrigue bâtie par Roland C. Wagner est solide, enchainant indices et rebondissements. Même si c’est la première affaire d’ampleur de Tem, et que les cadavres se multiplient, le détective s’en sort et arrive à confondre le coupable, non sans récolter quelques coups au passage.

« Cela me faisait tout drôle de penser que je venais d’accepter une enquête – une vraie enquête, avec un meurtre mystérieux à élucider. En toute honnêteté, je me demandais comment j’allais m’y prendre. Mes modèles littéraires suffiraient-ils à me mettre sur la voie ? J’en doutais. Pourtant, j’ai soudain éprouvé une furieuse envie de me replonger dans Léo Malet, juste histoire de voir comment ce bon vieux Nestor Burma se dépêtrait de situations analogues.
Mais je ne croyais pas me souvenir qu’il eût travaillé sur un problème de chambre close. »

Lors de ma première lecture en 2008, je me souviens d’avoir été surpris, et séduit, par l’humour de l’auteur. Mis à part Terry Pratchett, j’avais eu rarement l’occasion de lire de l’imaginaire drôle, mais qui ne négligeait pas son intrigue. Pour moi, la SF c’était un truc sérieux. Roland C. Wagner manie et alterne tous les registres comiques. Tem est volontiers sarcastique, avec quelques répliques bien senties ; et c’est sans compter le personnage de Gloria, IA consciente très puissante qui aime se donner l’apparence d’une séductrice, au moins quand elle s’adresse à Tem, activiste pour la libération des autres IA. Le détective rencontre au fil de son enquête tout un défilé de personnages plus bigarrés les uns que les autres. Le choix d’un contexte de SF permet à l’auteur d’introduire un autre élément comique en dotant son personnage du Talent parapsychique de Transparence. Personne ne fait attention à Tem, qui en est presque invisible. Il n’est pas davantage visible par des moyens technologiques. Mieux, ou pire, il disparaît même des souvenirs ou des enregistrements. Outre l’atout narratif pour l’auteur, cela lui permet d’introduire des éléments burlesques car, pour se faire remarquer, le détective est obligé de porter notamment un feutre vert fluo. Je vous laisse imaginer. Vous avez aussi l’explication des couvertures.

« Parfois je me demande à quoi pouvait bien ressembler cette ville autrefois, avant l’Élan utopique et l’explosion des familles-au-sens-large – du temps de Nestor, par exemple. Bien sûr, beaucoup de bâtiments subsistent encore, à peine érodés par le temps, mais le peuple n’est plus le même. Le grand métissage est en route et rien ne l’arrêtera. Pensez qu’il y a encore un siècle on vous aurait regardés de travers uniquement parce que vous étiez nés en Algérie ou au Tonkin – et, surtout, parce que vous aviez le « type » de votre pays d’origine. Ça peut paraître incroyable, mais avant la Grande Terreur primitive ce genre d’attitude n’était pas seulement le fait de groupuscules racistes honnis de tous. »

Les mésaventures de Tem, son ton sarcastique ou même la figure du détective à borsalino pourraient évoquer le roman noir. Il n’en est rien, ou alors très partiellement, car l’auteur intègre ses thèmes de prédilection et sa vision du monde, profondément humaniste. Entre ces deux lectures, j’ai en effet lu le chef d’œuvre de Roland C. Wagner, Rêves de gloire, et on retrouve certaines similitudes. Il y a tout d’abord d’assez nombreuses références musicales, l’évocation et l’usage de substances psychotropes (la « gloire » du roman sus-cité), l’importance des communautés nommées « tribus » dans La balle du néant… Mais le plus important est la vision profondément optimiste, voire utopique, du futur que nous propose l’auteur. Tout n’est certes par parfait, mais les thématiques classiques de la SF post-apo ne sont pas présentes ici. L’auteur me parait être au mieux méfiant vis-à-vis des Etats ou de certaines institutions (disons-le, le ton est anarchiste) mais il préfère se concentrer sur les individus et ce qui peut les rapprocher. Son monde semble plus fraternel, plus lumineux.

La balle du néant est un concentré de qualités : inventivité, érudition, humour, rythme. Je ne peux que vous le recommander, chaudement. Quant à moi, je prends la résolution de continuer à relire Wagner.

Vous aimerez si vous aimez les polars et le vert fluo.

Les +

  • Ce futur positif
  • La maitrise des genres
  • Tem & Gloria

Les –

  • De nouvelles couvertures qui me parlent moins
Publié le 27 mai 2022

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