Au-delà de l’aspect ludique de ce court roman, Anouk Langaney a des choses à dire et sait comment les dire.

Clark - Garoupe
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Qui est la tête à Clark de cette histoire ?

Ce livre est d’abord et avant tout une lettre d’une mère à sa fille, ultime tentative de rabibochage de l’une avec l’autre sur fond de mea culpa éducatif. Dis comme cela, ce n’est pas nécessairement très tentant.

Mais si on rajoute que cette femme, également mère d’un garçon, a appliqué sur eux une méthode éducative censée les faire devenir les superhéros de demain pour tenter de sauver la planète et l’espèce humaine… à grand renfort d’éco-terrorisme, vous allez me dire que cette mère (et par ricochet Anouk Langaney) est totalement barrée et que là ça vaut le coup de se pencher sur son cas (et par ricochet sur celui d’Anouk Langaney). Et vous auriez bien raison. C’est d’ailleurs avec son fils qu’elle mènera son projet le plus loin, les tentatives avec ses autres enfants n’ayant abouti qu’à du rejet, de l’échec et du ressentiment. Ressentiment dont elle tente, maladroitement parfois, avec humour et dérision aussi, de se défaire auprès de la destinataire de cette lettre.

La mère décrit par le menu tous les processus intellectuels qui ont précédé son projet et ceux pratiques de sa mise en application sur son fils, Clark… pied de nez au célèbre super-héros. Pourquoi a-t-elle décidé de se lancer dans cette « aventure » ? Comment a-t-elle opéré pour le choix des pères ? Quels principes éducatifs a-t-elle mis en place pour littéralement façonner son fils, dépourvu de super-pouvoirs, en super-héros putatif ?

Mais Clark n’est pas qu’une pantalonnade, une bonne poilade ou un bon divertissement. Il l’est indéniablement, mais il ne se limite pas à cela. Sous ses dehors de fable fantasque, Clark parle d’hérédité, parle de l’inné et de l’acquis. Il parle aussi du pouvoir de la volonté d’une personne sur l’esprit d’une autre, du libre-arbitre dont on prive une personne quelles que soient les pseudo-bonnes intentions.

On se doute bien que, contrairement à toutes les histoires de super-héros, cette histoire ne peut pas bien se terminer. Cette mère obtiendra-t-elle el pardon et le rachat aux yeux de sa fille ? Rien n’est moins sûr mais rien n’est pour autant certain : nous n’avons ici que le récit et la vision de la mère. Certes, elle ne se voile pas la face sur ses propres turpitudes. Mais cette « honnêteté intellectuelle » est-elle vraiment de nature à excuser tout le reste ? Les intentions affichées sont-elles suffisamment « nobles » pour valoir quitus des actes passés ? En bref, la fin justifie-t-elle les moyens ?

Anouk Langaney, auteur au talent aux multiples facettes (romans noirs, roman SF pour adolescent, ici fable moderne), répond à beaucoup de questions mais laisse le soin au lecteur de se faire sa propre opinion et le renvoie dos-à-dos avec sa conscience et son propre rapport au féminisme, aux violences faites aux femmes, aux principes éducatifs et à la manière de les appliquer, à la façon qu’on peut avoir d’assurer une transmission entre générations et surtout ce qu’on lègue aux futures générations…

Au-delà de l’aspect ludique de ce (court) roman, Anouk Langaney a des choses à dire et sait comment les dire.

Publié le 3 juin 2022

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