Clark est un divertissement étonnant, doublé d’une vision acerbe du monde, couplé à un fantasme d’éducation flippant. Sauver le monde par procuration n’est pas une mission aisée, Anouk Langaney en a une approche singulière.

Clark - EmOtionS
Article Original

Clark est un roman qui nous arrive dans son plus bel ABI, même sans la cape. Oui, ce roman est Atypique, Barré et Inclassable.

Par la forme, par le ton, par le concept, par l’écriture, rien ne vous prépare à la jubilation de lire ce court texte. 160 pages bourrées de créativité et d’émotions, qui en valent bien le double.

Lettre d’une mère à sa fille

Anouk Langaney nous propose la lettre d’une mère à sa fille. Elle s’y explique, elle argumente, tente d’imposer sa vision des choses. Parce qu’elle n’a plus rien à perdre. Sa fille aînée est partie loin de cette mère très spéciale. Le lecteur va entrer dans une intimité familiale qu’il n’imagine absolument pas.

L’autrice n’a pas (encore) la renommée qu’elle mérite, jusqu’à maintenant publiée par un petit éditeur corse, Albiana. Deux romans noirs très différents et une dystopie de SF pour la jeunesse qui avaient déjà mis en lumière son talent unique (et son coté barré). Aucun de ses livres ne se ressemble, tous liés par une véritable singularité.

Qu’on soit clair, Clark n’est absolument pas un roman de SF, ni un livre pour un public circonscrit. Au contraire ! Ce texte noir, original, a de quoi parler à nombre de lecteurs. Ceux qui aiment les écritures marquées, ceux touchés par les relations familiales complexes ou encore les enjeux de notre société en danger.

Humour noir et cri d’alarme

Les armes de l’écrivaine ? L’humour noir, un ton décalé, une vision sombre de l’avenir, un brin de paranoïa. Et une appétence claire pour tout ce qui concerne l’éducation (elle est enseignante dans son autre vie).

C’est donc, par le biais de cette lettre, le portrait d’une maman qui se veut exemplaire. Du moins avec son fils, nommé « judicieusement » Clark, qu’elle a décidé de façonner selon l’image qu’elle se fait d’un sauveur de l’humanité. Et tant pis si ses deux autres filles n’ont pas fait l’affaire avant lui.

C’est l’histoire d’une mère qui a décidé de pousser à l’extrême ses principes d’éducation, pour que son enfant devienne le modèle parfait de sa vision d’un libérateur. Qui est pour le moins particulière…

Une tragi-comédie qui va loin, très loin dans l’initiation du jeune homme. Apprentissage rime avec dressage, avec des méthodes de pédagogie de bazar, et une initiation qui frôle l’aliénation.

Tendances psychopathiques

Mais rien n’est tout blanc ou noir dans ce monde repensé par cette mère un « brin » obsessionnelle ; nuances de gris. Elle a des tendances psychopathiques, mais son constat de l’état du monde sonne juste. L’état des lieux est plutôt bon, les méthodes très discutables. Quand la monstruosité de nos sociétés actuelles pousse à créer un monstre pour les délivrer. Quand la volonté de sauver s’entrechoque au narcissisme.

Une observation cruelle, que l’autrice va prendre un malin plaisir à étirer jusqu’à la caricature. Pour mieux amuser tout en faisant passer certains messages. En glaçant le sang aussi. Et se poser des questions sur le pouvoir d’une maman sur sa progéniture. Il y a clairement plusieurs degrés de lecture dans ce roman.

L’influence de la culture pop, des BD de super-héros servent de terrain de jeu. Et la plume fait le reste, du genre à magnifier chaque passage. Chaque mot, chaque phrase sont réfléchis. Pas de superflu, mais une vraie personnalité d’écriture. Pour le bonheur du lecteur qui se voit offrir une bonne dose d’éclate. Et d’émotions aussi, parce que le sort de ces enfants, face à cette mère à l’empathie déformée, touche vraiment.

Clark est un divertissement étonnant, doublé d’une vision acerbe du monde, couplé à un fantasme d’éducation flippant. Sauver le monde par procuration n’est pas une mission aisée, Anouk Langaney en a une approche singulière.

Yvan Fauth

Publié le 23 juin 2021

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