Si Kenan Görgün réduit la voilure du propos, il reste le même en termes de colère pas toujours contenue, de goût pour la provocation et de passion du bon mot, toujours singulier et n'appartenant qu'à lui.

Oublie que je t'ai tuée - Le Focus/Vif

Masque qui se fend

Écrivain rock en colère, le Bruxellois Kenan Görgün est sorti du lot en 2019 avec Le Second Disciple (Les Arènes), récit fleuve, incandescent et visant large autour du terrorisme islamique, de Bruxelles et de Molenbeek, qu'il connaît bien pour y avoir grandi après être né à Gand, et dans lequel, déjà, il n'épargnait pas ses propres racines, turques en l'occurrence.

Un roman ambitieux et "touchy" qui attend encore sa suite, très éloigné en apparence de l'exercice de genre et de style qu'est ce Oublie que je t'ai tuée, polar qui se lit comme tel, avec ses chapitres courts, son meurtre qui déraille et son cahier des charges tourné vers le page-turning et un portrait de la ville de New-York nourri par la correspondance que l'auteur a tenu avec Paul Auster.
Et pourtant, si Kenan Görgün réduit la voilure du propos -la psyché d'un loser même pas capable d'assassiner convenablement sa femme-, il reste le même en termes de colère pas toujours contenue, de goût pour la provocation (entre soudaine crudité des mots et choix d'incarner à la première personne un "féminicideur") et de passion du bon mot, toujours singulier et n'appartenant qu'à lui. Le masque du narrateur semble même se fendre parfois pour révéler l'écrivain qui se planque derrière, avec ses propres affres et conflits familiaux qu'il a l'élégance de noyer dans une fiction. "Pour la première fois de ma vie, j'écris vraiment", nous dit Stan. Mais c'est Görgün qui l'écrit.

Publié le 11 avril 2024

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