« […] J’étais presque sûr de mes chances de succès en partant à la recherche de l’homme-jaguar dans l’index. À la lettre « H » il était, bien entendu, introuvable. Embusqué à la lettre « J », juste sous le mot « Jaguar », il ressortait néanmoins typographiquement par un jeu de graisse et d’italique : « homme-jaguar (myth.). – p.273-276. » Mission accomplie ! Trois pages pleines d’informations patiemment rassemblées, d’hypothèses audacieuses et, si la chance me souriait, agrémentées d’illustrations. 267, 269, 271, 277, 279… Impossible ! Cela ne pouvait être ! Ma première idée fut que, dans ma hâte, j’avais dépassé le passage que je cherchais ou alors que les pages collées par le temps jouaient avec mes nerfs. Je fermai et rouvris les yeux, comme pour chasser un mirage, revins en arrière à la page 267 et, avec une lenteur méthodique, refis le court chemin jusqu’à la page 281, où je découvris avec horreur le portait menaçant de Diego de Landa que j’avais vu auparavant. Les deux feuilles dont j’avais besoin brillaient par leur absence. Elles avaient été extraites du volume de la manière la plus minutieuse qui fût : une unique incision d’une étonnante rectitude. Deux étroites bandes de papier – tout ce qui restait des pages 273 à 276 – témoignaient qu’il n’était pas question là d’une erreur typographique, mais bien d’un acte malveillant. Les feuillets extraits d’une manière identique d’un autre livre s’empilaient sur ma table juste sous mes yeux. Il m’était impossible de nier l’évidence : les révélations précieuses à propos de l’homme-animal maya avaient été retirées du livre que j’avais acquis par hasard, par la même main qui me donnait les nouveaux chapitres du journal. Ces pages avaient-elles été extraites du livre avant que je n’en fasse l’acquisition ? Ou des inconnus avaient-ils vandalisé le livre pendant qu’il attendait de connaître son sort à côté du vide-ordures ? La seconde hypothèse était la plus vraisemblable ; et, dans ce cas, la disparition de ma traduction des premiers chapitres prenait un tout autre sens. Pendant un instant, j’eus l’impression d’être un rat enfermé par un chercheur dans un labyrinthe retors, équipé d’un mécanisme qui ouvrait et fermait des portes, libérant le passage soit vers la liberté, soit vers un piège, et qui coupait les voies de retraite, changeant ainsi en permanence la disposition des lieux et rendant vaine toute tentative de mémorisation du chemin emprunté. » (Sumerki, p.202-203)     À ce stade de la lecture du roman de Dmitry Glukhovsky, je ne pus m’empêcher de me livrer à une petite vérification personnelle, concernant l’état de ma mémoire. Je reposai le volume, et me rendis vers le coin de mon improbable bibliothèque où je savais avoir rangé un ouvrage curieux mais fort bien documenté de Rudolf Lusar, Die deutschen Waffen und Geheimwaffen des Zweiten Weltkrieges und ihre Weiterenwicklung (J.F. Lehmanns Verlag, München, 1971). Je consultai l’index, en cherchant l’expression « Fliegende Untertassen » (soucoupes volantes). Elle y figurait bien, comme dans mon souvenir, renvoyant à la page 240 de l’essai. Je me rendis donc à la page en question… Surprise (enfin, pas vraiment), les pages 241 à 244 (deux feuilles) étaient manquantes ! Et c’étaient celles, bien entendu, où se trouvaient tous les renseignements sur ces machines prétendument construites par des ingénieurs allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. On imagine ma déconvenue à l’époque où je rassemblais de la documentation sur ce sujet farfelu, lorsque, après avoir jubilé à la découverte (par hasard) de cet essai de Rudolf Lusar, je constatai l’absence des pages convoitées : exactement celle éprouvée par le traducteur Dmitry Alexeïevitch, constatant l’absence des pages 273 à 276 de l’essai (fictif ?) Chroniques des peuples mayas et la conquête du Yucatán et du Mexique d’E. Yagoniel, trouvé par hasard (encore), si précieux pour l’aider à avancer dans son travail de traduction. Seule différence : dans le Rudolf Lusar, l’incision des feuilles est moins minutieuse, il subsiste quelques bouts de papiers déchirés…     ActuSF   Joseph Altairac

Glukhovsky - Sumerki - ActuSF
« […] J’étais presque sûr de mes chances de succès en partant à la recherche de l’homme-jaguar dans l’index.
À la lettre « H » il était, bien entendu, introuvable. Embusqué à la lettre « J », juste sous le mot « Jaguar », il ressortait néanmoins typographiquement par un jeu de graisse et d’italique : « homme-jaguar (myth.). – p.273-276. » Mission accomplie ! Trois pages pleines d’informations patiemment rassemblées, d’hypothèses audacieuses et, si la chance me souriait, agrémentées d’illustrations.
267, 269, 271, 277, 279… Impossible ! Cela ne pouvait être ! Ma première idée fut que, dans ma hâte, j’avais dépassé le passage que je cherchais ou alors que les pages collées par le temps jouaient avec mes nerfs. Je fermai et rouvris les yeux, comme pour chasser un mirage, revins en arrière à la page 267 et, avec une lenteur méthodique, refis le court chemin jusqu’à la page 281, où je découvris avec horreur le portait menaçant de Diego de Landa que j’avais vu auparavant.
Les deux feuilles dont j’avais besoin brillaient par leur absence. Elles avaient été extraites du volume de la manière la plus minutieuse qui fût : une unique incision d’une étonnante rectitude. Deux étroites bandes de papier – tout ce qui restait des pages 273 à 276 – témoignaient qu’il n’était pas question là d’une erreur typographique, mais bien d’un acte malveillant.
Les feuillets extraits d’une manière identique d’un autre livre s’empilaient sur ma table juste sous mes yeux. Il m’était impossible de nier l’évidence : les révélations précieuses à propos de l’homme-animal maya avaient été retirées du livre que j’avais acquis par hasard, par la même main qui me donnait les nouveaux chapitres du journal.
Ces pages avaient-elles été extraites du livre avant que je n’en fasse l’acquisition ? Ou des inconnus avaient-ils vandalisé le livre pendant qu’il attendait de connaître son sort à côté du vide-ordures ? La seconde hypothèse était la plus vraisemblable ; et, dans ce cas, la disparition de ma traduction des premiers chapitres prenait un tout autre sens.
Pendant un instant, j’eus l’impression d’être un rat enfermé par un chercheur dans un labyrinthe retors, équipé d’un mécanisme qui ouvrait et fermait des portes, libérant le passage soit vers la liberté, soit vers un piège, et qui coupait les voies de retraite, changeant ainsi en permanence la disposition des lieux et rendant vaine toute tentative de mémorisation du chemin emprunté. » (Sumerki, p.202-203)
 

 
À ce stade de la lecture du roman de Dmitry Glukhovsky, je ne pus m’empêcher de me livrer à une petite vérification personnelle, concernant l’état de ma mémoire. Je reposai le volume, et me rendis vers le coin de mon improbable bibliothèque où je savais avoir rangé un ouvrage curieux mais fort bien documenté de Rudolf Lusar, Die deutschen Waffen und Geheimwaffen des Zweiten Weltkrieges und ihre Weiterenwicklung (J.F. Lehmanns Verlag, München, 1971). Je consultai l’index, en cherchant l’expression « Fliegende Untertassen » (soucoupes volantes). Elle y figurait bien, comme dans mon souvenir, renvoyant à la page 240 de l’essai. Je me rendis donc à la page en question… Surprise (enfin, pas vraiment), les pages 241 à 244 (deux feuilles) étaient manquantes ! Et c’étaient celles, bien entendu, où se trouvaient tous les renseignements sur ces machines prétendument construites par des ingénieurs allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. On imagine ma déconvenue à l’époque où je rassemblais de la documentation sur ce sujet farfelu, lorsque, après avoir jubilé à la découverte (par hasard) de cet essai de Rudolf Lusar, je constatai l’absence des pages convoitées : exactement celle éprouvée par le traducteur Dmitry Alexeïevitch, constatant l’absence des pages 273 à 276 de l’essai (fictif ?) Chroniques des peuples mayas et la conquête du Yucatán et du Mexique d’E. Yagoniel, trouvé par hasard (encore), si précieux pour l’aider à avancer dans son travail de traduction. Seule différence : dans le Rudolf Lusar, l’incision des feuilles est moins minutieuse, il subsiste quelques bouts de papiers déchirés…
 
 
 
Joseph Altairac
Publié le 21 mai 2014

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