C’est un monde bien terne qui nous est décrit, un monde où celui qui donne sa propre vie par amour n’est plus un modèle d’humanité, mais au contraire celui qui perd son humanité par la perte de l’éternelle jeunesse. Peut-être encore plus profondément, cette histoire nous montre ou nous rappelle surtout l’absurdité de vouloir une vie infinie dans un monde fini. Éloge de la gratuité

Glukhovsky - FUTU.RE - Éloge de la gratuité
Article Original
Je suis tombé un peu par hasard sur le roman FUTU.RE de Dmitry Glukhovsky publié chez l’Atalante.

Le livre imagine que nous obtiendrons l’immortalité, en devenant capables d’arrêter le processus du vieillissement et de la dégradation du corps. L’Europe, qui se veut humaniste, souhaite que tous ses habitants puissent bénéficier de l’immortalité. Mais malgré, les immenses gratte-ciel et la quasi disparition de la nature, les limites de la planète sont évidentes. Alors, dans ce monde surpeuplé d’immortels, l’Europe décide de mettre en place la loi du Choix : les parents qui mettent au monde un enfant doivent le déclarer et choisir celui d’entre eux qui recevra l’injection qui le fera mourir, en relançant et en accélérant le processus de vieillesse, lui laissant une dizaine d’années à vivre avec son enfant.

Le style est incisif, parfois cru, mais surtout très efficace et on se laisse facilement prendre par l’histoire.

Ce roman va toutefois bien au-delà d’une simple histoire. Il décrit avec une grande pertinence cet avenir finalement bien sombre. Dans cette société débarrassée de la mort, l’homme s’érige alors en surhomme. Il croit s’être autocréé, comme dans les fantasmes transhumanistes :

« Nous sommes l’homo ultimus. Nous ne voulons plus être le bricolage d’un autre, ni attendre l’examen de notre dossier par la bureaucratique machine de l’évolution, restée en plan. Nous avons enfin pris en main notre destinée. Nous sommes le couronnement de notre propre création. »

L’homme, devenu immortel, se contente toutefois d’une vie aseptisée, orienté autour d’un plaisir infini, mais d’où à disparu la grandeur, les œuvres majestueuse du passé. Il se prend pour un dieu, mais un dieu incapable de créer :

« Se mesurer à Dieu n’a plus aucun sens, car voilà longtemps que nous sommes ses égaux. Jadis, seul Lui était éternel ; désormais, c’est à la portée de n’importe qui. Nous avons même conquis les cieux, car désormais ils nous reviennent de droit. Nous ne L’avons pas renversé, non, Il s’est sauvé tout seul. Il a rasé sa barbe, passé une robe et Il erre désormais parmi nous, habitant dans un cube de deux mètres d’arête et gobant des antidépresseurs au petit-déjeuner. »

Le sacré n’existe plus. Il est méprisé. Alors l’artificiel, le superflu, le matériel devient le seul idéal. C’est l’aboutissement de la société de consommation, du renversement des valeurs :

« Au-dessus de l’entrée, une bannière : « Cet esprit-là de Noël ». Une image : des vieillards et de jeunes enfants sont assis dans un canapé, derrière eux un arbre tout en boules et en guirlandes. Quel mensonge contre nature ! Je suis certain qu’il s’agit d’une tentative des propagandistes du Parti de la Vie pour détourner notre plus grosse semaine de soldes à leurs néfastes fins. »

Il est révélateur que la loi qui oblige l’un des parents à mourir soit appelé La loi du Choix car il est bien entendu question d’une loi de « non choix ». Comment accepter de mourir, renoncer à l’immortalité pour donner la vie ? Surtout qu’il ne s’agit pas simplement de relancer le processus naturel de vieillissement, mais de l’accélérer. Ainsi, le parent vieillissant ne pourra pas partager l’adolescence de son enfant pour qui il s’est sacrifié.

Bien au-delà de cette question, c’est toute le société qui se retrouve dans une espèce de résignation, d’acceptation de ne plus choisir même sur des questions de vie ou de mort, ce qui bannit dès lors le questionnement éthique :

« Je n’éprouve que rarement des doutes ou des regrets consécutifs à mes actes : d’ordinaire mon travail m’épargne l’obligation de choisir ; sans choix, pas de regrets. Heureux celui pour qui d’autres prennent la peine de choisir : il n’a rien à confesser. »

On pourrait penser que, malgré tout, il s’agit d’un beau sacrifice que celui de donner sa vie pour son enfant, mais c’est aussi accepter d’être ostracisé car quelle horreur que celui qui nous rappelle que nous ne sommes que des hommes !

« Être gros ou chétif, avoir des poux ou des boutons, se tenir voûté ou boiter est honteux et répugnant. Ceux qui se négligent font figure de lépreux. Seule la vieillesse est plus détestable et plus ignoble. L’homme se veut d’une apparence parfaite et physiquement accompli. Nous devons mériter l’éternité. On dit que jadis la beauté était une chose rare et attirait l’attention de tous ; eh bien, aujourd’hui, c’est la norme. Et le monde ne s’en porte pas plus mal. Les complexes sportifs ne sont pas simplement un passe-temps. Ils nous aident à rester humains. »

Là encore, l’inversion de valeurs est patent. Ce qui nous rend humain dans ce monde, c’est l’éternelle jeunesse, à l’opposé de ce qui nous rend véritablement humain comme la vulnérabilité, que nous partageons tous.

C’est un monde bien terne qui nous est décrit, un monde où celui qui donne sa propre vie par amour n’est plus un modèle d’humanité, mais au contraire celui qui perd son humanité par la perte de l’éternelle jeunesse. Peut-être encore plus profondément, cette histoire nous montre ou nous rappelle surtout l’absurdité de vouloir une vie infinie dans un monde fini.

Éloge de la gratuité

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Publié le 11 août 2016

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