Quitter le nid
Tout recommencer
Lancer de nouvelles voix en France, c’est un peu devenu la spécialité des éditions L’Atalante avec leur collection de novellas. Après P. Djèlí Clark et Nghi Vo, voici le tour de l’Indo-Caribéenne Premee Mohamed.
Diplômée en génétique moléculaire et en sciences environnementales, elle se lance dans l’imaginaire en 2020 avec la trilogie Beneath the Rising avant de publier en 2021 un court récit de science-fiction post-apocalyptique intitulé La Migration annuelle des nuages. C’est de ce dernier, traduit par l’excellente Marie Surgers, dont nous allons parler aujourd’hui.
« La fin du monde offre une page vierge pour en bâtir un neuf. »
Tout commence par une lettre, une simple lettre.
Pourtant, pour Reid, c’est un séisme.
Il s’agit rien de moins qu’une invitation à rejoindre l’université de Howse, celle du Dôme, l’un des derniers vestiges du monde d’avant.
Autant dire un mythe.
Cette admission, aussi incroyable soit-elle, ne se fera pas sans encombre puisqu’avant de rejoindre cette école, il faudra que Reid parvienne à rallier le point de rendez-vous à l’extérieur des murs.
Pire encore, Reid doit quitter sa petite communauté d’Edmonton, les siens, sa famille. Et surtout, sa mère.
Si le monde n’est plus, quelques humains ont survécu et c’est avec un parasite pour le moins encombrant qu’ils doivent partager leur quotidien. Le cad, sorte de champignon semi-conscient transmis de génération en génération, ne va pas faciliter la tâche déjà ardue de Reid, qui doit composer avec ses envies et celle de son parasite sans savoir vraiment départager les deux.
Qui a dit que le monde d’après serait plus simple ?
Premee Mohamed surprend avec ce court récit qui, en lieu et place d’une simple aventure vers un extérieur que l’on devine particulièrement dangereux, s’attache à décrire une petite communauté autosuffisante ainsi que le conflit intérieur qui habite la jeune fille.
Un conflit qui a une nature véritablement unique puisqu’il est double : d’un côté celui d’une adolescente qui doit quitter le nid et, de l’autre, celle d’une humaine parasitée par la volonté d’un champignon voulant survivre avant tout. Nul besoin de dire que ce « coming-of-age » ne sera pas comme les autres.
« À l’époque, on construisait des choses qu’on ne pouvait pas réparer quand elles se cassaient. Il n’est plus temps de leur en vouloir. Et de toute façon le monde a brûlé : et il n’y avait pas d’eau pour éteindre les flammes, pas la détermination nécessaire pour apporter des seaux. Ceux qui avaient de l’eau se sont planqués avec leurs ressources en faisant comme si les incendies n’existaient pas. »
La communauté occupe une place centrale dans La Migration annuelle des nuages. C’est elle qui protège les individus et les limite, qui impose des règles et des devoirs, c’est elle qui permet demain au prix de certains sacrifices. Le monde décrit par Premee Mohamed n’est pas une complète utopie, elle est une description d’un possible avec sa médecine quasiment revenue au Moyen-Âge, sa justice parfois terrible et ses épreuves du quotidien pour cohabiter.
En son sein, Reid doit composer avec ce qu’elle sait du monde d’avant, un monde semble-t-il égoïste où l’homme a détruit la terre avant de se planquer — au moins en partie — dans des Dômes inviolables tandis que les plus pauvres faisaient comme ils pouvaient. C’est un fond écologique qui hante le récit, comme dans beaucoup d’œuvres récentes. On retrouve aussi la peur de l’épidémie, de l’infection, de l’invisible qu’on ne voit pas venir, comme si la CoVid et The Last of Us étaient passés par là, comme si l’on se rendait compte de notre fragilité encore et encore.
Pour se démarquer davantage, Premee Mohamed choisit d’explorer avec patience la relation complexe qui unit Reid à sa mère, elle aussi infectée par le cad, et ce qu’il se passe quand on voit son enfant quitter le foyer pour accomplir un rêve impossible.
C’est un dilemme de parent, à la fois protecteur et garant d’un futur meilleur. Ici s’ajoute bien sûr la question du cad, et de sa place dans tout cela, de sa façon d’influencer les choix des différents personnages et, à travers eux, la communauté. Le Dôme, lieu mythique, devient un espace de fantasmes pour Reid, une façon d’imaginer un ailleurs qui fait peur et qui fait sens. Mais pour autant, peut-elle abandonner ceux qu’elle aime, notamment Henryk, ce jeune garçon certainement pas encore prêt à affronter le dehors. Avec une plume douce et poétique, Premee Mohamed interroge, émerveille et émeut comme on ne s’y attendait pas.
Et le voyage, lui, n’est peut-être plus celui qu’on pensait.
« La vérité, ai-je envie de lui dire, c’est qu’après un rêve on ouvre les yeux. »
Le temps d’un voyage vers soi, Premee Mohamed dessine les contours d’un communauté qui tente de survivre et d’une fille qui doit décider de vivre. La Migration annuelle des nuages, c’est la rencontre imprévue entre Becky Chambers et The Last of Us, et l’on en redemande forcément.
Note : 8.5/10