Il faut lire cette novella à la première personne, touchante et douce, pleine de réflexions simples et pertinentes à la fois.

La Migration annuelle des nuages - Bifrost n°118

Futur trop proche, à quatre générations de nous environ. Prédation, effondrement de la biodiversité, changement climatique et pandémies émergentes, le monde (le nôtre) s'est effondré, pas dans un boom mais dans un murmure. Bien des humains sont morts dans les années de tribulation qui ont signé l'effondrement. Quelques-uns demeurent néanmoins. D'abord dans les lointains dômes, où les plus riches se sont apparemment réfugiés et où subsisteraient les merveilles de l'Ancien Monde (on pense à Exodes, de Jean-Marc Ligny). Ensuite, plus nombreux, dans les ruines des villes, non loin d'une nature endommagée redevenue sauvage et donc dangereuse.

Reid vit avec sa mère au sein d'une communauté qui tente de survivre dans ce qu'il reste d'Edmonton, précisément dans le campus de la ville. La jeune femme, comme sa mère, est porteuse du Cadastrulamyces, abrégé cad, un champignon parasite (on pense à The last of Us) qui se transmet de parent à enfant et finit par tuer son hôte non sans l'avoir d'abord empêché de se mettre en situation dangereuse afin d'assurer sa propre survie. Dans la petite communauté de Reid, le nombre de naissances est faible, précisément à cause du cad, et celui des suicides est élevé.

Dans ce monde futur, tout ce qui nous paraît évident a cessé de l'être. On vit dans les restes de ce qui précéda, dans une déchetterie de faite assemblée de bric et de broc. On ne mange que peu de viande car il n'y a plus d'élevage, qu'il faut donc chasser et que c'est une activité dangereuse. On n'a plus d'énergie électrique. On n'a ni antibiotique ni aucune technique médicale avancée, ce qui rend toute blessure ou pathologie chronique potentiellement mortelle. On recycle ce qu'on peut, avec des moyens limités. On puise dans un stock de connaissance scientifiques qui, faute de porteurs, s'est fortement rétréci. On a des références culturelles anciennes mais plus le monde qui va avec (on pense aux Flibustiers de la mer chimique, de Marguerite Imbert). On n'a plus les chaînes de valeur complexes qui rendaient possible un système productif foisonnant. [...]
Le monde de la jeune femme a redécouvert ce qu'écrivait Jean Fourastié dans Pourquoi nous travaillons : "La nature "naturelle" est une dure marâtre pour l'humanité... nous travaillons pour transformer la nature "naturelle" qui satisfait mal ou pas du tout les besoins humains en éléments artificiels qui satisfassent ces besoins."

Dans le monde de Reid, la vie est dure, le travail incessant, et la communauté a besoin de tous pour produire jour après jour les moyens de sa survie. Voilà pourquoi ceux qui partent, qu'on les connaisse ou pas, sont parfois durement jugés.

Aussi quand Reid reçoit la lettre de ses rêves, celle qui lui annonce qu'elle est admise à l'université Howse (loin d'ici, sous un dôme sans doute), c'est un bouleversement tant pour elle que pour sa mère ou son meilleur ami, Henryk. La Migration annuelle des nuages, raconte les jours qui précèdent le départ de Reid pour Howse, les inquiétudes, les interrogations, les doutes, les déchirements avec sa mère, les subterfuges que déploie Henryk pour l'inciter à suivre son destin et son désir. Accomplira-t-elle un voyage sûrement destiné à être sans retour ?

Pour le savoir, il faudra lire cette novella à la première personne, touchante et douce, pleine de réflexions simples et pertinentes à la fois. Dans les pas d'une personne complexe qui espère plus que tout avoir une vie - autrement dit un avenir - alors que la maladie lui fixe une échéance, on visitera un monde effondré qui ne sait pas encore s'il va définitivement disparaître comme celui de La Terre demeure, ou parvenir à se relever comme...

[...]

Éric Jentile

Publié le 13 mai 2025

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