Cela fait longtemps que les auteurs de science-fiction se sont emparés de la question climatique et ont cherché à imaginer ce que pourrait bien devenir notre Terre d’ici vingt, cinquante ou cent ans. Le futur anxiogène présenté dans la plupart de ces romans, et qui pouvait sembler démesurément pessimiste il y a quelques années, nous paraît malheureusement de plus en plus réaliste au fur et à mesure que les effets de la catastrophe s’amplifient, sans que rien d’efficace ne soit entrepris pour mettre fin à ses causes. Prolifique auteur d’imaginaire, Jean-Marc Ligny s’est lui aussi confronté à ce sujet à travers plusieurs romans qui devaient composer une trilogie (Aqua; Exodes; Semences) mais qui a depuis été enrichie d’un nouveau volume (Alliances). Chaque opus est indépendant et peut donc être lu séparément, mais tous ont pour point commun de mettre en scène le même univers, à savoir notre Terre à différentes phases du réchauffement climatique. Dans Semences, ce que les survivants ont rebaptisé « les âges sombres » n’est désormais plus qu’un lointain souvenir, et aucun des membres de cette génération n’a connu le monde avant son effondrement progressif. On découvre avec effarement une planète qu’on peine à reconnaître puisque tout commence par une épidémie de paludisme… au Groenland ! Les espaces pouvant encore abriter de la vie humaine se réduisent comme peau de chagrin, et même le nord n’est plus épargné par la sécheresse. Plus au sud, les communautés survivantes se comptent sur les doigts de la main tant les températures se montrent peu clémentes. Den et Nao vivent dans l’une de ces dernières tribus, totalement isolée du reste du monde et en train de péricliter, faute de renouvellement génétique. Les conditions de vie sont extrêmement rudes, les habitants ayant trouvé abri dans des grottes dont ils ne peuvent sortir qu’à la nuit tombée, sous peine de mourir carbonisés. Dans le désert qui s’étend à perte de vue, scorpions, serpents et autres créatures dangereuses rodent et causent fréquemment la mort des humains qui croisent leur route. Tout change lorsque les deux jeunes gens découvrent par hasard, perdu dans ce désert, un homme mourant qui leur fait comprendre qu’il vient d’une terre plus loin au nord, prête à les accueillir et bien plus propice à la vie. Avec l’accord de leur communauté, Den et Nao vont alors entreprendre un long voyage à la recherche de cet eden qui constitue leur seul espoir de sauver leur tribu.
Jean-Marc Ligny s’est de toute évidence donné du mal pour proposer une vision de la Terre du futur la plus plausible possible compte tenu des informations réunies à l’heure actuelle par les scientifiques concernant l’évolution du réchauffement climatique. Le résultat fait, évidemment, froid dans le dos, non pas à cause d’une quelconque volonté de l’auteur de faire dans le sensationnaliste, mais justement parce qu’il n’a pas besoin d’insister pour souligner la gravité de la situation. Les humains se sont regroupés dans des communautés très isolées les unes des autres (à l’exception d’une poignée de tribus nomades) dont le quotidien n’a plus rien à voir avec le nôtre. Chercher à manger, ne pas se blesser ou tomber malade, procréer : voilà qu’elles sont les trois grandes priorités qui animent toutes les communautés, qu’elles se soient implantées ou nord ou au sud. Nos appareils technologiques ne sont plus que des vestiges que certains ont appris plus ou moins seuls à utiliser tandis que d’autres les rejettent avec peur et dégoût, conscients que ces objets appartiennent aux « âges sombres » qui ont causé la perte de l’humanité. Les stratégies développées par les personnages pour atténuer l’hostilité de l’environnement dans lequel ils évoluent sont très variées et permettent bien souvent d’accroître la tension dramatique du récit (vont-ils réussir à trouver un abri avant le lever du soleil ? Parviendront-ils à échapper à tel prédateur…). L’auteur prend d’ailleurs beaucoup de temps pour décrire en détail cet environnement, qu’il s’agisse du relief ou des plantes qui y poussent, sans oublier les animaux. Ceux-ci occupent en effet une place centrale dans l’intrigue, qu’ils soient menaçants à l’image de la faune du désert de Den et Nao (certaines scènes faisant intervenir scorpions et serpents sont assez impressionnantes), amicaux comme ceux de la cabane d’Ophélie (arachnophobes et ophidiophobiques, fuyez !) ou difficile à cerner comme les fourmites de Nao (un croisement génétique réalisé avant l’effondrement entre des fourmis et des termites) qui sont capables de communiquer avec l’homme et de passer des pactes de non-agression, et même d’entre-aide, avec lui.
L’intrigue est pour sa part bien construite et nous entraîne à différents endroits de cette Terre désormais hostile mais pour autant loin d’avoir été désertée par l’humanité. Den et Nao feront ainsi de nombreuses rencontres au cours de leur périple, certaines positives, d’autres qu’ils vont amèrement regretter. Malgré toutes ses qualités le roman perd un peu de souffle sur la fin, mais ce décrochage de ma part s’explique peut-être (sûrement) par le fait que j’ai commencé ma découverte de la série de l’auteur par Alliances qui est le dernier ouvrage de l’auteur. Chronologiquement parlant, j’ai donc commencé par la fin ! Or, s’il est vrai que les deux ouvrages peuvent parfaitement être lus individuellement, je vous conseille de ne pas faire comme moi et de commencer par Semences dans la mesure où la fin du périple de Den et Nao tel que narré dans ce roman-ci est repris dans Alliances dont il constitue le deuxième tiers. Cela gâche donc inévitablement la surprise, et on ne peut, dans ces circonstances, qu’être frustré par cette semi-conclusion, puisqu’on sait déjà où les personnages vont se rendre ensuite et ce qu’ils vont faire. De même, un certain nombre de concepts ou de personnages évoqués brièvement ici verront leur personnalité et leur parcours se complexifier dans Alliances, à l’image d’Ophélie (dont l’apparition ici est relativement brève) et surtout des fourmites, dont les capacités et les objectifs ne sont ici qu’esquissés. Ce télescopage entre les deux volumes, qui donne parfois un désagréable sentiment de répétition, n’est toutefois en rien rédhibitoire et ne suffit pas à lui seul à gâcher le plaisir de lecture. Le seul autre bémol que j’aurais à formuler concerne les nombreuses scènes de sexe entre Den et Nao qui finissent par lasser car (là aussi) trop répétitives.
Avec Semences, Jean-Marc Ligny dresse un portrait glaçant de ce qu’est en bonne voie de devenir notre planète d’ici plusieurs décennies. À travers le parcours de deux jeunes individus lancés dans une quête désespérée vers un eden fantasmé, l’auteur nous parle avec sensibilité d’espoir, d’amour, et surtout des rapports ambivalents entretenus entre l’homme et son environnement, qui échappe ici complètement à son contrôle. Un roman post-apo bien pensé, qui a su trouver le bon équilibre entre action et réflexion.
Le Bibliocosme