Quand j’ai pris conscience au tournant du siècle que le réchauffement climatique était inéluctable, ma réflexion d’auteur de SF en a pris un coup. Je me suis dit : « Ce n’est plus un avenir possible, c’est un avenir certain. » Toute réflexion sur l’avenir devait désormais intégrer ce critère : « le climat va changer, et l’humanité va s’en trouver modifiée ».

Ligny - Semences - ActuSF
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ActuSF : Votre roman, Semences, sort ce mois-ci chez l’Atalante. C’est le troisième tome de votre trilogie climatique, démarrée avec Aqua™ et poursuivie avec Exodes. Aviez-vous envisagé ce triptyque dès le départ ?
 
Jean-Marc Ligny : Non, pas du tout. Au départ, Aqua™ devait constituer mon unique contribution à la problématique du réchauffement climatique. Mais à mesure que je progressais dans l’ouvrage (dont la gestation a pris quelques années), le problème du réchauffement climatique est devenu de plus en plus prégnant et ses conséquences à moyen terme de plus en plus dramatiques (donc passionnantes pour l’écrivain de SF que je suis). Or Aqua™ traitait du problème à court terme, à l’horizon 2035 environ. Une fois ce roman terminé, Denis Guiot m’a commandé un roman pour grands ados/jeunes adultes pour la collection qu’il dirigeait alors chez Intervista. Je suis donc resté dans le sujet pour écrire Green War, qui se passe à la même époque qu’Aqua™. C’est alors que m’est venue l’idée de pousser le bouchon plus loin, à l’échelle d’un siècle, au cas (de plus en plus probable) où l’humanité n’arriverait pas à endiguer ce réchauffement climatique et où il atteindrait un point d’emballement, rendant la Terre invivable et détruisant du même coup la civilisation. Ça a donné Exodes, dont il a été dit à plusieurs reprises que c’était un roman très pessimiste et désespéré sur la condition humaine. Je n’ai pas voulu rester sur une vision aussi sombre de l’avenir et j’ai encore poussé le bouchon de deux siècles supplémentaires. En me disant qu’à cette époque, les survivants de l’humanité se seraient plus ou moins adaptés à survivre en un monde nouveau, ou du moins dont les conditions climatiques seraient largement inédites à l’échelle humaine. De là est venue l’idée de Semences : un roman un peu plus « positif » qu’Exodes, montrant comment l’humanité arrive à s’adapter et s’en sortir, d’une façon ou d’une autre.

ActuSF : L’histoire de Semences nous projette dans un avenir lointain. A quoi ressemble la Terre ? Quels changements a-t-elle subi ?
 
Jean-Marc Ligny : Globalement, d’un tropique à l’autre, le soleil tue. Les températures diurnes peuvent dépasser les 100°C et rien ne survit sur ces terres calcinées. Les zones tropicales se sont largement déplacées vers le nord et le sud (nos « zones tempérées » actuelles) avec leurs cortèges de cyclones gigantesques et de pluies diluviennes. Le pôle nord est devenu tempéré, envahi par la moisine, le kudzu et les moustiques, et l’inlandsis fond d’année en année. Les océans on gonflé, sont devenus acides et abritent une faune étrange. Sur les continents, la diversité biologique a chuté de 95% environ – flore et faune sont donc plutôt monotones, d’une région à l’autre. Pour une raison mystérieuse (que des scientifiques, s’il y en avait, décrypteraient sans doute…), il n’y a plus aucun oiseau. Les survivants, rassemblés en tribus éparses et ayant peu de contact, vivent avec parcimonie. La mémoire du passé est uniquement légendaire, vu qu’il n’y a plus aucun support pour lire la mémoire (essentiellement électronique) des siècles passés et que la plupart des livres ont disparu au cours des Âges Sombres. Les survivants de l’humanité vouent un culte plus ou moins fanatique à Mère-Nature. Tout objet technologique est généralement tabou (mais pas partout). L’humanité survit, de diverses manières. Mais elle n’est plus l’espèce dominante sur la planète. Ça semble être les fourmites (croisement entre foumis et termites, à l’origine inconnue) avec qui certains humains vivent en symbiose.

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ActuSF : Vous abordez depuis quelques années les problématiques des ressources naturelles, du climat…. Qu’est-ce qui vous incite à écrire cette SF "écologique" ?
 
Jean-Marc Ligny : C’est, je crois, le fait que ça concerne directement l’avenir de l’humanité, ou du moins de la civilisation. Quand j’ai pris conscience au tournant du siècle que le réchauffement climatique était inéluctable, ma réflexion d’auteur de SF en a pris un coup. Je me suis dit : « Ce n’est plus un avenir possible, c’est un avenir certain. » Toute réflexion sur l’avenir devait désormais intégrer ce critère : « le climat va changer, et l’humanité va s’en trouver modifiée ». Il a fallu que je comprenne ce qui allait se passer, ce qui risquait de se passer, et les conséquences physiques, mentales, économiques et sociales à court, moyen et long terme. C’était devenu incontournable. Un peu comme la SF du temps de la guerre froide qui parlait d’apocalypse nucléaire, sauf que l’apocalypse nucléaire en question restait une possibilité : qu’un cinglé quelconque appuie sur le fatidique bouton. Le réchauffement climatique, lui, n’est pas une possibilité, mais une certitude. Fatalement, l’avenir de l’humanité devra en tenir compte. C’est ce qui m’a incité à écrire là-dessus.

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Publié le 25 septembre 2015

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