Quelques universitaires connaissent peut-être le nom d’Anne Larue pour son tristement célèbre Fiction, féminisme et postmodernité : les voies subversives du roman contemporain à grand succès, paru en 2010 dans la collection de sciences humaines des Classiques Garnier. Avant d’être retiré de la vente par l’éditeur pour des raisons idéologiques. Puis, suite à une pétition lancée par des confrères chercheurs, remis dans les circuits. Son premier roman, paru il y a peu chez L’Atalante, est lui de ceux qui, au premier abord, pourraient laisser perplexe. Ça part dans tous les sens et parfois l’on pourrait croire que ça ne va nulle part. Précisément le genre qui hante le libraire : comment vendre un tel bouquin au lecteur ? À la fois aventure SF, fantasy barrée, dystopie, fable ésotérique, anticipation (donc métaphore sur notre présent), ouvrage théorique féministe, et quelque peu roman pour adolescente amoureuse des chevaux. C’est pourtant ce qui fait la richesse de cette étonnante traversée et qui la rend nécessaire. Parce que oui, s’il s’agit d’un petit ovni, c’est qu’il faut le saisir au vol. On pense un peu à quelques fous tels que Douglas Addams (dont l’auteur parle souvent avec emphase), Kurt Vonnegut Jr ou Robert Sheckley. Mais dans une version féminine. Sensible et guerrière à la fois. Et incroyablement drôle. Je l’ai dis un peu plus haut, nous avons affaire à un ouvrage fortement teinté de féminisme. Et clairement, le patriarcat y en prend pour son grade. C’est un peu en quelque sorte la mise en pratique des théories énoncées dans ses textes de chercheuse. On saura ceci dit que l’auteur n’avait pas le moins du monde prévu de faire un roman militant – c’est en tout cas ce qu’elle déclare. Mais c’était vouloir croire oublier un combat de toute une vie. Comme on dit : chassez le naturel, il revient au galop (expression ici presque de rigueur pour un roman où la gent chevaline est à l’honneur !). Ce qui est cependant incroyablement bien fichu, c’est que cela n’est à aucun moment servi de la façon manichéiste dont le font les intégristes prêcheurs. Tout reste subtil et, plutôt que placardé en grand, glissé avec justesse dans les péripéties. Surtout, tous les élans vengeurs et jouissifs (où un personnage féminin s’en prend soudainement avec violence au méchant mâle) sont systématiquement contrebalancés par de lourds remords, et soulèvent la plupart du temps des questions plus qu’autre chose. Soulignant bien la complexité des relations humaines. Que ce soit au Moyen-Âge, de nos jours, ou dans le futur. Drôle de bouquin, donc, où il est question de Moyen-Âge (attention, celui-ci n’est pas toujours situé à l’époque qu’on croit) et de centre de recherche médiéviste, de Trimslop (une version futuriste de notre football), d’équitation et de chevaux volants ou éventuellement dorés à la feuille d’or, de voyages dans le temps, de viol, de sexualité et de genre, d’alimentation et survie en milieux hostile (si l’on réussit, on obtient son diplôme de camping) ou de voyage dans le temps… Il ne s’agit pas ici, comme on s’y attend dans un récit de fantasy classique d’une quête à proprement parler. Bien qu’il y en ait une. Il ne s’agit pas de combats. Bien qu’il y ait un peu de castagne et pas mal de morts. Il ne s’agit pas d’un complot international. Bien que l’on complote dans les couloirs. Il ne s’agit pas de contrées oubliées et mystérieuses. Bien que Paris ne s’y ressemble plus tant. Il ne s’agit pas de grande gloire ni d’héroïsme victorieux. Bien que (non je ne révèle pas grand-chose) les héroïnes gagnent à la fin. Le plus incroyable c’est qu’arrivé au bout de l’aventure, après avoir été trimballés d’un bout à l’autre du temps et dans de nombreuses intrigues parallèles ou sous-jacentes, surgit la fin (je vous répète que je n’en ai rien révélé), totalement inattendue, presque saugrenue, mais qui soudain résout tout et donne un sens au roman en entier. Si l’on ne peut, pour les raisons susdites, prédire un grand succès commercial à cet étonnant livre, gageons qu’il trouve au moins quelques lecteurs acharnés (et donc ardents défenseurs) qui sauront lui reconnaître sa saveur toute particulière. Ainsi, l’auteur pourra-t-elle à terme – ainsi qu’elle l’a prévu, ne me demandez pas pourquoi – arriver au 17ème tome des mésaventures de sa vestale. De ce qu’on en sait, elle travaille déjà sur deuxième tome. Affaire à suivre, donc. Colville

Larue - La vestale du Calix - Gouffre au sucre

Quelques universitaires connaissent peut-être le nom d’Anne Larue pour son tristement célèbre Fiction, féminisme et postmodernité : les voies subversives du roman contemporain à grand succès, paru en 2010 dans la collection de sciences humaines des Classiques Garnier. Avant d’être retiré de la vente par l’éditeur pour des raisons idéologiques. Puis, suite à une pétition lancée par des confrères chercheurs, remis dans les circuits.

Son premier roman, paru il y a peu chez L’Atalante, est lui de ceux qui, au premier abord, pourraient laisser perplexe. Ça part dans tous les sens et parfois l’on pourrait croire que ça ne va nulle part. Précisément le genre qui hante le libraire : comment vendre un tel bouquin au lecteur ? À la fois aventure SF, fantasy barrée, dystopie, fable ésotérique, anticipation (donc métaphore sur notre présent), ouvrage théorique féministe, et quelque peu roman pour adolescente amoureuse des chevaux.
C’est pourtant ce qui fait la richesse de cette étonnante traversée et qui la rend nécessaire. Parce que oui, s’il s’agit d’un petit ovni, c’est qu’il faut le saisir au vol. On pense un peu à quelques fous tels que Douglas Addams (dont l’auteur parle souvent avec emphase), Kurt Vonnegut Jr ou Robert Sheckley. Mais dans une version féminine. Sensible et guerrière à la fois. Et incroyablement drôle.

Je l’ai dis un peu plus haut, nous avons affaire à un ouvrage fortement teinté de féminisme. Et clairement, le patriarcat y en prend pour son grade. C’est un peu en quelque sorte la mise en pratique des théories énoncées dans ses textes de chercheuse. On saura ceci dit que l’auteur n’avait pas le moins du monde prévu de faire un roman militant – c’est en tout cas ce qu’elle déclare. Mais c’était vouloir croire oublier un combat de toute une vie. Comme on dit : chassez le naturel, il revient au galop (expression ici presque de rigueur pour un roman où la gent chevaline est à l’honneur !).
Ce qui est cependant incroyablement bien fichu, c’est que cela n’est à aucun moment servi de la façon manichéiste dont le font les intégristes prêcheurs. Tout reste subtil et, plutôt que placardé en grand, glissé avec justesse dans les péripéties. Surtout, tous les élans vengeurs et jouissifs (où un personnage féminin s’en prend soudainement avec violence au méchant mâle) sont systématiquement contrebalancés par de lourds remords, et soulèvent la plupart du temps des questions plus qu’autre chose. Soulignant bien la complexité des relations humaines. Que ce soit au Moyen-Âge, de nos jours, ou dans le futur.

Drôle de bouquin, donc, où il est question de Moyen-Âge (attention, celui-ci n’est pas toujours situé à l’époque qu’on croit) et de centre de recherche médiéviste, de Trimslop (une version futuriste de notre football), d’équitation et de chevaux volants ou éventuellement dorés à la feuille d’or, de voyages dans le temps, de viol, de sexualité et de genre, d’alimentation et survie en milieux hostile (si l’on réussit, on obtient son diplôme de camping) ou de voyage dans le temps…
Il ne s’agit pas ici, comme on s’y attend dans un récit de fantasy classique d’une quête à proprement parler. Bien qu’il y en ait une. Il ne s’agit pas de combats. Bien qu’il y ait un peu de castagne et pas mal de morts. Il ne s’agit pas d’un complot international. Bien que l’on complote dans les couloirs. Il ne s’agit pas de contrées oubliées et mystérieuses. Bien que Paris ne s’y ressemble plus tant. Il ne s’agit pas de grande gloire ni d’héroïsme victorieux. Bien que (non je ne révèle pas grand-chose) les héroïnes gagnent à la fin.
Le plus incroyable c’est qu’arrivé au bout de l’aventure, après avoir été trimballés d’un bout à l’autre du temps et dans de nombreuses intrigues parallèles ou sous-jacentes, surgit la fin (je vous répète que je n’en ai rien révélé), totalement inattendue, presque saugrenue, mais qui soudain résout tout et donne un sens au roman en entier.

Si l’on ne peut, pour les raisons susdites, prédire un grand succès commercial à cet étonnant livre, gageons qu’il trouve au moins quelques lecteurs acharnés (et donc ardents défenseurs) qui sauront lui reconnaître sa saveur toute particulière. Ainsi, l’auteur pourra-t-elle à terme – ainsi qu’elle l’a prévu, ne me demandez pas pourquoi – arriver au 17ème tome des mésaventures de sa vestale. De ce qu’on en sait, elle travaille déjà sur deuxième tome. Affaire à suivre, donc.

Colville

Publié le 24 janvier 2012

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