Difficile de résumer ce pavé où de nombreuses qualités narratives de Guy Gavriel Kay affleurent déjà : son envie de mêler l’Histoire avec une époque fantasmée de son cru, son amour évident de la poésie et de la chanson mais aussi, et surtout, son incroyable don pour façonner des personnages éminemment humains et attachants. Tigane rassemble tout cela et bien plus encore.

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Bien décidé à poursuivre la réédition des romans de Guy Gavriel Kay en France, L’Atalante propose cette fois Tigane, deuxième œuvre de l’écrivain canadien après sa trilogie La Tapisserie de Fionavar.
Gros pavé, Tigane marque un tournant dans la carrière de Kay. En effet, cet opus voit l’auteur prend ses distances avec l’ heroic fantasy pure et dure à la Tolkien pour tracer sa propre voie. L’action de Tigane se situe dans un monde qui rappelle furieusement l’Italie de la Renaissance et ses nombreuses Cités-États. Dans la Palme, une péninsule prise entre les mâchoires de deux empires, Barbadior et Ygrath, le jeune Devin va découvrir qu’il n’est pas celui qu’il pense. Sous la férule d’Alessan et de Baerd, il apprend le triste sort de son pays natal, Tigane, qui a eu le malheur de se dresser entre Brandin d’Ygrath et sa conquête de la Péninsule. Maudite et réduite au silence, le fier pays du prince Valentin disparaît petit à petit de la mémoire du monde, condamné par l’anathème jeté par Brandin lui-même bien des années plus tôt. Devin va alors décider de se battre pour libérer la Palme du joug des envahisseurs étrangers mais également pour que le nom de Tigane puisse de nouveau être entendu par tous.

Difficile de résumer ce pavé où de nombreuses qualités narratives de Guy Gavriel Kay affleurent déjà : son envie de mêler l’Histoire avec une époque fantasmée de son cru, son amour évident de la poésie et de la chanson mais aussi, et surtout, son incroyable don pour façonner des personnages éminemment humains et attachants. Tigane rassemble tout cela et bien plus encore. Devin, Alessan, Catriana, Brandin… absolument tous les acteurs de cette vaste fresque de fantasy se révèlent marquants d’une façon ou d’une autre. L’univers créé, si détaillé et vivant soit-il, vaut aussi et avant tout par les magnifiques figures humaines qui l’habitent. Guy Gavriel Kay délaisse déjà les grosses ficelles de l’ heroic fantasy pour quelque chose de plus subtil, de plus délicat.

« Les mots ont un pouvoir, ils peuvent vous changer, engendrer des désirs comme des passerelles que nul ne parvient jamais à franchir pour de bon. »

[...] Kay s’avère déjà un maître en matière d’émotions et arrivent à susciter l’empathie du lecteur relativement vite. D’autant plus qu’il parle de thèmes universels avec une justesse qu’on ne peut lui retirer. Au fond, derrière sa fin épique et ses complots, Tigane parle du droit des peuples à s’autodéterminer. Plus encore, Kay se penche sur l’identité et sur l’appartenance à une contrée. En passant en revue le mauvais et bon dans cette vengeance aux doux relents nationalistes, Kay fait la part des choses et laisse le lecteur réfléchir sur le sens du mot vengeance. Le sort de Brandin, roi à la fois ignoble et touchant, s’oppose à celui d’Alessan, obligé de commettre bien des forfaits pour arriver à trouver sa justice. Tigane se penche sur le poids de l’Histoire et celui de la mémoire. 
Comment vivre avec son passé ? Comment vivre l’exil et le retour au pays ? 
Tigane foisonne de bonnes idées qui permettent tout de même de le hisser bien plus haut que le tout-venant fantasy.

Le roman annonce d’ailleurs les futures splendeurs que seront Les Lions d’Al-Rassan ou Le Fleuve Céleste mais n’en a pas encore l’envergure ni la maîtrise. Ceux qui aiment Kay apprécieront grandement Tigane, les autres seraient plus avisés de commencer par un autre bout de son œuvre avant de revenir à celle-ci.

Publié le 14 mai 2019

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