Lisez Guy Gavriel Kay si ce n’est pas déjà fait !

La Chanson d'Arbonne - La bibliothèque d'Aelinel
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Je poursuis ma découverte des romans de Fantasy historique de Guy Gavriel Kay grâce à notre LC commune avec Elhy et le Lutin. Et en ce mois de janvier, c’est La Chanson d’Arbonne qui était à l’honneur. Cette fois, point d’inspiration de l'Italie de la Renaissance ou de l'Espagne de la Reconquista, mais l’Occitanie des XIIème et XIIIème siècle. Et devinez quoi? J’ai adoré!

Vingt ans avant le début de notre intrigue, la fille de Cygne et de Guibor comte d’Arbonne, Aëlis ne s’épanouit pas dans son mariage avec le duc Urté de Miraval. Alors qu’elle rejoignait la ville de Talair escortée par sa dame de compagnie, sa cousine Ariane et les corans fidèles à son mari, le convoi est attaqué sur les berges du Lac Dierne. Aëlis est alors enlevée et emmenée non loin dans une cabane de charbonnier où… elle rejoint son amant Bertran, Duc de Talair…
Deux décennies ont passé, Blaise originaire du Royaume du Gorhaut, au nord de l’Arbonne a pris part à une bien étrange mission : accoster le plus discrètement possible sur l’Ile de Rian pour ramener de force le poète Evrard de Lussan. En effet, après une soirée bien arrosé, le-dit troubadour aviné s’était introduit dans la chambre de Soresina, l’épouse du baron Mallin de Baude alors qu’elle dormait. La jeune femme scandalisée a vertement renvoyé son agresseur et celui-ci offusqué, s’est réfugié sur l’île de Rian pour composer des vers satiriques. Blaise est très surpris par les mœurs du sud : car si au Gorhaut, le fieffé coquin aurait été occis pour une telle impudence, en Arbonne, au contraire, le baron souhaite ramener le poète pour que son épouse s’excuse publiquement et ne soit plus l’objet de ses moqueries…

Un roman de Fantasy historique inspiré de l’Occitanie des XIIème et XIIIème siècle

Comme à son habitude, l’auteur canadien introduit une carte de l’univers de son roman au début de l’ouvrage pour que le lecteur puisse suivre les lieux principaux de l’intrigue.

L’Arbonne s’inspire de l’Occitanie ou du Pays d’Oc, un territoire auparavant situé dans le sud de la France et composé de la Provence, le Languedoc et l’Aquitaine. Le nom d’Arbonne vient de son fleuve éponyme qui pourrait être rapproché du Rhône et d’un point de vue géographique et agricole, cette région se caractérise par un taux d’ensoleillement important, sa culture de la vigne et des olives. L’auteur mentionne également un arc construit par les Anciens sur les berges du lac Dierne, une référence évidente aux constructions romaines comme par exemple l'Arc de Glanum, situé près de St Rémy de Provence.

Une seconde carte en bas à droite, figurent l’Arbonne et ses voisins : ainsi, le Gorhaut pourrait être le royaume de France, le Gotzland pour le St Empire Romain Germanique, le Portezza pour l’Italie, l’Arimonda pour l’Al-Andalus et le Valensa pour l’Espagne.

La chanson d’Arbonne donne également une très grande place aux troubadours puisque les évènements auraient été rapportés en chanson ou en poème par les deux plus connus : Anselme de Cauvas et Lisseut de Vézet pour lesquels Guy Gavriel Kay introduit une courte biographie fictive en début et en fin de l’ouvrage. L’auteur fait également référence à l'amour courtois ou le fine amor en vogue dans l’Occitanie du XIIème et XIIIème siècle et impulsé par la cour d’Aliénor d'Aquitaine et de sa fille Marie de France (dans le roman, on pourrait d’ailleurs les rapprocher des personnages de la comtesse d’Arbonne Cygne et de sa nièce Ariane). Il s’agit d’un nouvel art de vivre dans lequel l’amour est célébré avec respect, honnêteté et courtoisie ce qui donne lieu à des poèmes et des chansons composés et interprétés par des troubadours.

Enfin, le roman fait des références subtiles à « l’hérésie cathare », mouvement religieux dissident fortement réprimée par l’Eglise aux XIIème et XIIIème siècle. En effet, dans La Chanson d’Arbonne, il existe deux cultes religieux : celui du dieu Corannos dans le Royaume de Gorhaut et celui de la déesse Rian en Arbonne. Lorsqu’Adémar, roi du Gorhaut décide d’envahir le sud, son premier geste symbolique est de condamner au bûcher les prêtresses d’un temple de Rian.

Une intrigue toute en finesse

L’intrigue de La chanson d’Arbonne est divisée en quatre parties et se déroule sur un an. Comme d’habitude avec l’auteur, il est toujours un peu difficile d’appréhender immédiatement la trame principale du récit tant il donne corps à la construction de son univers, la description des us et coutumes des civilisations qu’il aborde et le développement des sous-intrigues qui s’imbriquent les unes dans les autres. Le point négatif est la présence gênante de longueurs (pour ma part, j’ai trouvé la partie dite de « L’automne » un peu longue parfois). Mais ce serait oublier que Guy Gavriel Kay est un véritable orfèvre qui ne laisse rien au hasard, même le plus infime détail ou le moindre dialogue ont leur importance et participent à la construction minutieuse de son récit. Et le point d’orgue de l’intrigue se situe dans les cent dernières pages lorsque les évènements se précipitent au point qu’il est impossible pour le lecteur de lâcher le roman pour aboutir à un final épique et époustouflant.

Guy Gavriel Kay donne de la profondeur à son récit et profite également de son roman pour faire passer quelques messages :
– le féminisme. En ce qui concerne le Royaume du Gorhaut, il dénonce le fait que les femmes doivent obéissance à leur mari (ou au patriarche de la famille), ne peuvent exprimer librement leurs opinions ou prendre des décisions sans leur aval sous peine de punition. Elles jouent essentiellement un rôle matrimonial dans le jeu des alliances politiques et maternel pour la perpétuation de la lignée. En Arbonne, les femmes sont également soumises à des règles patriarcales comme se marier avec un prétendant qu’elles n’ont pas choisi (Aëlis avec le Duc Urté de Miraval) ou obéir à leur mari en pardonnant à leur agresseur (Soresina à l’encontre du poète Evrard de Lussan). Toutefois, certaines peuvent exercer le pouvoir ce qui est le cas de Cygne à la tête du Comté d’Arbonne ou de sa fille Béatrice, Grande-Prêtresse de Rian sur l’île éponyme. D’autres possèdent une certaine influence culturelle comme Lisseut de Vezet reconnue comme une poétesse renommée ou Ariane qui règne sur sa cour d’amour et impulse l’art de vivre du fine amor.
– l’intolérance religieuse. Sous l’impulsion de son conseiller Galbert de Garsenc, le roi Adémar du Gorhaut veut annihiler le culte de Rian et imposer celui du dieu Corannos en Arbonne. Au nom de la religion, des temples sont détruits et des prêtresses violées, battues et condamnées au bûcher.

Des personnages d’exception

Enfin comme dans Tigane et Les lions d’Al-Rassan, les personnages sont nombreux et représentatifs de la société dépeinte par Guy Gavriel Kay que ce soit au niveau du genre (hommes et femmes sont bien représentés) ou socialement (le lecteur côtoie autant les puissants que les gens plus modestes : du paysan, au soldat, au troubadour, prêtre, bourgeois, noble ou souverain).
– Ces personnages possèdent tous une certaine épaisseur qu’elle soit psychologique ou biographique et évoluent tout au long du récit. Par exemple, si Blaise possède beaucoup de préjugés vis à vis des hommes arbonnais au début (en gros, des faibles dominés par leur femme), il change d’avis par la suite au point d’éprouver à l’égard de Bertran de Talair ou d’Urté de Miraval, une certaine forme de respect.
– Ils sont également très attachants ce qui permet au lecteur de ressentir à leur égard de l’empathie notamment dans les situations dramatiques : je citerais par exemple la fuite de Rosala du royaume de Gorhaut (mention spéciale d’ailleurs au dialogue d’une intensité remarquable entre la jeune femme et son beau-père Galbert de Garsenc). Pour ma part, ma préférence allait vers le personnage de Cygne qui est d’un charisme fou et arrive à imposer son autorité aux deux ducs récalcitrants Bertran de Talair et Urté de Miraval.

En conclusion, lisez Guy Gavriel Kay si ce n’est pas déjà fait! S’il est vrai que je n’avais pas trop aimé Tigane mais eu un coup de coeur pour Les lions d’Al-Rassan, La Chanson d’Arbonne se situe au milieu des deux. Inspirée de l’Occitanie des XIIème et XIIIème siècle, l’intrigue finement ciselée, la profondeur de son univers et de ses personnages, les dialogues savoureux et la plume inspirée de l’auteur auront vite fait de vous embarquer. Pour ma part, ma prochaine incursion sera dans l’Empire byzantin avec la première partie parue chez l’Atalante : Voile vers Sarance.

La bibliothèque d'Aelinel

Publié le 2 mars 2020

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