On retrouve les personnages là où on les avait laissés : Orville, devenu roi du huitième royaume sis sur l’île du Goulet est en fuite. Il vient d’assassiner un Gardien. La jeune Rosa est en fuite elle aussi avec un groupe d’hommes et de femmes qui tentent d’échapper à Cravan, sanguinaire Gardien clairvoyant. Toute la première partie du roman s’organise donc principalement autour de deux périples : Orville et son compagnon Petrus naviguent sur la mer intérieure cherchant à survivre, accoster, et au final se cacher car leur tête sont mises à prix. Rosa et les siens en plus de fuir doivent lutter contre la faim et la soif, contre le rude relief de la crête. On retrouve ici la même structure narrative que dans le tome précédent qui s’articulait autour de la traque d’Orville. Et les mêmes défauts, à savoir quelques longueurs dues à la minutie des descriptions.
Or ces précisions quasi microscopiques que Régis Goddyn se plait à apporter à quelques scènes participent paradoxalement à l’ampleur du projet. Il s’agit de peindre un vaste monde traversé de conflits ancestraux. Les affrontements qui opposent Gardiens, rebelles, théocrates, mages et simples humains sont à l’échelle d’une civilisation. Or comment peindre une civilisation si ce n’est à travers de quelques représentants fouillés, complexes et vivants jusque dans les moindres détails…
Une déception pourtant se fait jour à propos de ces personnages que je trouvais particulièrement humains. Rosa et Orville se découvrent des pouvoirs hors du commun : celui-ci peut tuer à distance d’une pression télépathique au cerveau, il peut ralentir le temps et attraper au vol le poignard destiné à le tuer ; elle peut faire fondre des glaciers afin de désaltérer son groupe de fuyards. Tout ça est bigrement pratique, mais cette quasi invincibilité leur fait perdre leur humanité mais surtout permet de les sortir de situations inextricables, comme dans les très mauvais livres. Faire de ces héros des mages est une facilité ici dommageable.
L’intérêt de ce deuxième tome repose donc sur la richesse psychologique des personnages et sur la complexité des conflits qui les opposent : les Gardiens, les rebelles, les humains. Les Gardiens ont dévoilé leurs plans pour atteindre l’hégémonie : ils passent par l’extermination de certains, par l’esclavage d’autres, par la réduction de certaines femmes au statut de reproductrice. Ces ambitieux révèlent leur vrai visage qui s’apparente bien souvent à celui de bourreaux. Orville par contre ne dit rien des pouvoirs qu’il sent grandir en lui. On espère très sincèrement que ce beau personnage ne sera pas gâché par quelques ficelles indignes.
Régis Goddyn entretient le mystère quant aux vrais desseins de certains personnages. Tout n’est pas encore révélé, même les lieux restent mystérieux (la cité-vieille, l’île du Goulet…). La vraie surprise, celle qui entretient le suspens jusqu’au prochain tome vient de l’avant-dernier chapitre qui retourne totalement l’intrigue. Le lecteur remet en cause tout ce qu’il vient de lire et s’interroge (façon « Lost ») : mais où sommes-nous, et quand ?
Ainsi l’épaisseur des mystères et la surprise de certains rebondissements entretiennent-elles le suspens d’une intrigue qu’on sent très travaillée. Et rien que pour savoir qui sont les trois naufragés, on sera du tome trois.