Du côté négatif, on trouve ce que j'ai déjà écrit sur les obsessions de Bordage, peut-être un peu moins présentes qu'habituellement dans ce volume. Mais surtout, le cycle commence à être long. Chacun des quatre tomes lu est basé sur une architecture très similaire. Le nouveau membre est perdu, il doit partir très loin rencontrer le membre suivant sans savoir comment faire, car d'une part il ne sait pas encore qui est le membre suivant (qui souvent ne le sait pas lui-même), d'autre part il n'y a pas de moyen facile de se rendre où celui-ci se trouve, en général à l'autre bout de la galaxie. On lit donc de manière récurrente des scènes d'astroport, de police locale corrompue ou manipulée, de cakra, arme symbiotique dont on craint qu’elle brule atrocement les chairs (dans une description qui rappelle l’épreuve de la boite et du Gom Jabbar), de prêtres de Sat toujours présents mais si évidemment toujours vaincus qu'ils en finissent par ressembler à des méchants de dessins animés, de marche dans la nature sauvage ou dans les bas-fonds des capitales. Au bout de quatre tomes, je commence à trouver que cette récurrence structurelle l’est justement un peu trop. De plus, le fonds philosophique qui sous-tend la Fraternité du Panca est basé sur une croyance qui implique que les bonnes personnes sont naturellement à la bonne place, que les bonnes rencontres se font quand elles doivent se faire, que si le destin de quelqu'un est de réussir alors il réussira, même si toutes les probabilités semblent contre lui. On est proche du wu wei taoïste, ce qui sur le plan dramatique n'est pas idéal. Au fil de la lecture, et plus on s'imprègne de cette philosophie, moins on n'a de doute sur la réussite de ce qui est entrepris par les héros. De fait, il n’y a rapidement plus aucune tension, car le lecteur sait sans le moindre doute que, même dans les situations les plus extrêmes, le héros fera ce qu'il faut, y compris si c’est improbable (la scène du saut dans le ravin en étant la meilleure illustration), et vivra au moins assez longtemps pour mener à bien sa mission. Au début de L'homme qui rit, Victor Hugo annonce que les occupants du petit bateau vont mourir. Mais la force de son écriture fait que, pendant soixante pages, le lecteur pourtant prévenu arrive à croire à une impossible survie. Dans Sœur Onden, malheureusement, j'ai eu l'impression contraire. Bordage n’annonce pas que les héros vont mourir (il ne dit pas non plus d’ailleurs qu’ils vont survivre) mais on sait d'expérience, pour avoir lu les trois premiers tomes, que Sœur Onden ne mourra pas. On sait aussi qu’elle parviendra à joindre le premier membre de la fraternité car cette quête est d'une importance capitale. Et pas une seule fois on n’a le moindre doute sur le fait qu'elle va réussir, sur le fait qu'au final tout s'arrangera comme nécessaire, ce qui fait que les multiples péripéties qu'Onden et les autres protagonistes rencontrent sont observées avec l’intérêt de la curiosité, mais sans guère d'implication. C'est sans doute le défaut principal de ce cycle. En posant la nécessité inéluctable de reconstituer la chaîne quinte, Bordage empêche le lecteur de douter un seul instant de sa reconstitution, malgré les obstacles humainement insurmontables qui se dressent face à cet objectif.
Gromovar