Nous avions déjà évoqué dans ces colonnes la vision particulière des Jeux Olympiques de Pierre Pelot où les États réglaient leurs problèmes démographiques à coups d'Olympiades sanglantes. Dans Wang, de Pierre Bordage, les élites se passionnent pour les grandes batailles de l'histoire rejouées avec comme chair à canon des immigrés (contraints et forcés) sous les ordres de champions. Les héros meurent aussi, de Matthew Woodring Sover - dont c'est le premier livre traduit en français - va encore plus loin. Notre bonne vieille Terre est découpée en castes autoritaires : au sommet de l'échelle sociale, les Oisifs (mélange de rentiers aristocrates et d'actionnaires de multinationales), en bas, les Ouvriers et au milieu, une multitude de sous castes pour faire tourner l'économie. Tout ce petit monde se détend au rythme des aventures d'acteurs projetés dans un univers médiéval fantastique (nommé Autremonde), transformé, à l'insu de ses habitants, en véritable cour de récréation pour le seul plaisir des Terriens. Hari Michaelson est une star au regard de l'Audimat sur Terre et une légende sous le nom de Caine, un redoutable assassin, dans Autremonde. Le principe médiatique est redoutable : les plus riches suivent les aventures de « l'intérieur », dans la tête des personnages, les plus pauvres sur le Net ou en vidéo. Le jeu n'est pas sans risque car la mort n'est pas factice si le Studio n'arrive pas à rapatrier l'acteur à temps. Quant aux autochtones, comme les Indiens dans les westerns, ils ne comptent pas.
Hari va tomber bien malgré lui dans un scénario qui va le mettre aux prises avec les puissants des deux univers et lui ouvrir quelque peu l'esprit. Derrière les paillettes du show-biz se cacherait-il un révolutionnaire ? Les héros meurent aussi est redoutable d'efficacité et on ne peut que se réjouir de découvrir, pour la première fois en français, un auteur américain qui marche sur les traces subversives d'un Spinrad Stover, à l'heure des « jeux télés » Survivor ou des traques sur Internet, et qui n'aime pas l'idée de retourner dans l'arène pour amuser les puissants et on le comprend.
Gregor Markowitz, Combat Syndicaliste, mars 2001