L’intrigue est passionnante, le style d’écriture toujours aussi dynamique et les quelques pointes d’humour teinté de cynisme bien dosé font qu’on reconnaît sans peine le style du maître qui ne se repose visiblement pas sur ses lauriers.

Ombre Bones
Article Original

Jack Holloway est prospecteur indépendant sur la planète Zara XXIII. Il y travaille comme sous traitant pour l’immense compagnie Zarathoustra et c’est dans le cadre de ce contrat qu’il découvre un filon de pierres précieuses qui promet de faire sa fortune. Hélas (pour lui), il découvre une nouvelle espèce jusqu’ici inconnue sur la planète. De gros enjeux pèsent alors sur les épaules du prospecteur car si cette espèce est reconnue intelligente, la compagnie va perdre des milliards de crédit ainsi que le droit d’exploiter la planète. Et lui, tout l’argent lié au filon. Ainsi débute la fameuse controverse.

Dans une courte présentation, Scalzi explique que ce roman se veut comme une refonte des Hommes de poche de H. Beam Piper publié en 1962. De son propre aveu, il en garde certains éléments dont la trame principale ainsi que plusieurs personnages auxquels il ajoute ses personnages à lui, de nouveaux rebondissements et la touche toute scalzienne à laquelle je suis très sensible. Je n’ai pas lu les Hommes de poche donc il ne m’est pas possible d’effectuer une comparaison mais je trouve l’honnêteté intellectuelle dont Scalzi fait preuve vraiment à son honneur.

J’ai retrouvé avec plaisir sa plume maîtrisée et son grain de folie. En effet, le roman s’ouvre sur Jack qui s’apprête à déclencher une explosion… ou plutôt, à demander à son chien, Carl, de le faire pour lui ! Malheureusement, ça provoque une réaction en chaîne qui cause de sacrés dégâts et son supérieur ne va pas se priver de le virer. Il faut dire que l’homme a déjà un sacré passif, c’était un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase. J’ai immédiatement apprécié ce personnage plutôt roublard, ancien avocat radié du barreau qui va toujours chercher la petite bête. Une réussite.

Il n’est d’ailleurs pas le seul. Si le roman se concentre sur les enjeux philosophico-éthiques de la controverse, il n’oublie pas de développer des personnages crédibles et attachants que ce soit du côté humain ou du côté des toudous. Il réussit même l’exploit avec Carl le chien !

Mais ce qui marque surtout dans ce texte, ce ne sont pas tant les protagonistes que le fond. La Controverse de Zara XXIII a beau dater des années soixante, on y trouve des thématiques très fortes à l’heure actuelle. D’ailleurs je parle de science-fiction mais le texte pourrait très bien se dérouler dans notre monde et à notre époque, il se classe dans cette catégorie parce qu’on a une planète autre que la Terre, exploitée par une société humaine pour ses richesses ainsi qu’un plus grand développement sur les procédures de préservation.
 Jack découvre donc une nouvelle espèce qu’il prend pour animale et se rend rapidement compte de leur intelligence. Il va donc consulter son ex, une biologiste douée qui va leur prêter une intelligence forte, douée de raison, à la hauteur de celle des humains. Commence alors des débats aux enjeux faramineux. Jack a tout à perdre dans la reconnaissance de cette intelligence car il ne pourra pas exploiter son filon. D’un autre côté, il s’attache à ceux qu’il a appelés « les toudous » et va devoir lutter contre les pontes de la compagnie qui essaient de le faire taire d’une façon assez violente. Et définitive.

Le lecteur est alors embarqué dans des péripéties juridiques et des retournements de situation assez inattendus. Je me sentais comme dans une bonne série avec des avocats talentueux qui trouvent toujours des ruses pour arriver à leur fin. Personnellement, ça me passionne et j’ai eu très difficile de lâcher ce texte.

Scalzi aborde des questions fondamentales dans ce roman confirmant, selon l’éditeur, ses penchants humanistes (je ne connais hélas pas l’auteur personnellement mais vu ses textes, je veux bien le croire). Finalement, qu’est-ce qui définit une race comme intelligente ? Peut-on se contenter d’une liste de critères abstraits ? Qu’apporte la parole au débat ? Qui doit-on protéger dans un écosystème et pourquoi ? Est-ce qu’il suffit d’obliger des compagnies exploitantes à remettre tout en état quand elles ont terminé pour autoriser n’importe quoi ? Peut-on tout autoriser si les bénéfices à la clé sont suffisants ? Quelle est la valeur d’une vie ? J’ai trouvé à cet égard La Controverse de Zara XXIII d’une remarquable intelligence.

Pour résumer, j’ai adoré ce one-shot difficile à lâcher ! La Controverse de Zara XXIII est un bijou. À travers une idée qui peut paraître simple et déjà exploitée (la découverte d’une nouvelle espèce sur une planète au sol assez riche pour attirer les convoitises), John Scalzi use de tout le talent qu’on lui connaît pour s’intéresser à la préservation de la faune. Il propose un antihéros attachant et laisse la part belle aux espèces extraterrestres dont il se sert pour porter sa réflexion. L’intrigue est passionnante, le style d’écriture toujours aussi dynamique et les quelques pointes d’humour teinté de cynisme bien dosé font qu’on reconnaît sans peine le style du maître qui ne se repose visiblement pas sur ses lauriers. Je recommande chaudement ce roman à tout le monde, que vous soyez habitués de science-fiction ou non car cet aspect reste léger (surtout comparé aux habitudes de Scalzi) et tourne vraiment davantage autour des questions philosophiques ainsi que les aspects juridiques inhérents à une telle controverse. Encore une magnifique réussite pour L’Atalante !

Publié le 27 août 2019

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