J’ai été séduit comme rarement, c’est aussi simple que ça. Pour ce volume au moins, il me semble bien que l’engouement général est amplement mérité ; et j’ai très hâte de vérifier à quel point il le sera dans les suivants dont je me ferai acquéreur. Je vous conseille de faire la même chose.

La Controverse de Zara XXIII - Le Syndrome Quickson
Article Original

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Jack Holloway est prospecteur indépendant aux méthodes peu conventionnelles, sur la planète Zara XXIII, aux ordres de la corporation Zarathoustra. Au hasard d’un de ses débordements habituels, il découvre un gisement de pierres solaires, un minerai rarissime et infiniment précieux qui excite ses convoitises comme celles de ses supérieurs. Au milieu des tractations et négociations judiciaires, un nouvel élément vient encore plus perturber la situation. Une étrange petite famille d’adorables bestioles indigènes est venue s’installer chez Jack, et il semblerait bien qu’elles soient douées d’une intelligence qui justifierait le retrait de Zarathoustra de Zara XXIII selon les lois coloniales en place ; la planète leur appartenant de droit, tout comme le gisement.

Commençons donc, si vous le voulez bien, par un constat heureux : je n’aurai rien de mal à dire sur ce roman. Rien du tout. Il a été un plaisir continu, sans aucune ombre à porter au tableau. Ce qui complique un peu la tâche de la chronique, il faut bien le dire, parce que du coup, je galère à décider par quel bout je peux bien la prendre pour pouvoir en dire au mieux tout le bien que j’en pense sans tourner en rond. Alors autant commencer par le plus évident, et sans doute ce dont j’avais besoin et qui m’a fait tant de bien à la lecture : sa légèreté. Mention spéciale aux dialogues et à leur excellente traduction par Mickael Cabon, qui m’ont très régulièrement fait sourire et quelquefois rire à haute voix. J’ai même tapé du pied par terre de contentement à un moment. Le roman est donc très drôle, dans une ambiance qui ne serait pas sans rappeler les films d’action/aventure les plus décomplexés en terme de ton, malgré son accent sur une intrigue très bureaucratique ; sachant jongler entre one-liners et une intrigue plus sérieuse, dosant juste assez son sérieux lorsqu’il le faut. Pensez à un crossover improbable et pourtant réussi entre Star Trek et Suits. Jack Holloway est une joyeuse machine à punchlines, et c’est un plaisir sans borne de le lire faire le malin tout le long du roman, sans pour autant tomber dans un quelconque cliché de macho viriliste un-peu-bas-du-front-mais-attachant. Au contraire, c’est un personnage d’une très belle complexité, avec une histoire riche et un superbe arc d’évolution le long de cette intrigue. L’alchimie globale est habile et redoutablement efficace, notamment dans les rapports entre les personnages qui sont très organiques, malgré une certaine économie de moyens à mettre au crédit de Scalzi, qui préfère jouer sur le rythme au dépens d’un temps à prendre pour tout développer. Et pour autant, j’ai le sentiment que rien n’est perdu ; son sens de la synthèse est à saluer, redoutable.

Car au delà du rire, ce roman demeure très intelligent. En complément à l’espièglerie de l’auteur qu’on devine derrière celle de ses personnages, je dirais que l’adjectif parfait pour le décrire s’avère être, de fait, « malin ». Car sous le vernis de la comédie, l’intrigue est assez captivante, et l’humour agirait presque comme une diversion. Nous passons en effet tellement de temps à rire ou à plus simplement nous amuser que certains détails passent inaperçus et reviennent nous surprendre quelques pages plus tard, ayant entre-temps évolué dans de nouvelles dimensions. Le plaisir est alors double, de voir avancer l’intrigue d’une façon très logique, et de s’être un peu fait avoir quand même, mais avec une souplesse et une classe qui fait juste hocher la tête et apprécier l’instant comme la manœuvre. Comme un tour de magie en somme, avec ce que cela suggère de jeu avec le lecteur averti qui essaie de voir venir certaines choses mais qui finit quand même par se faire avoir. Et le roman est tout entier rempli de ces petits moments de magie, qu’on peut apprécier comme un lecteur ou comme un acharné d’analyse comme moi, ayant pu prévoir certains événements, et m’étant fait absolument mystifier par d’autres.

Mais que mon insistance sur le côté le plus léger ne vous leurre pas, La Controverse de Zara XXIII est loin de n’être qu’une comédie ; avec tout le respect que j’ai pour la comédie comme genre à part entière. Mais je n’aime jamais autant ma comédie que lorsqu’elle permet à d’autres genres et ambitions que le rire seul d’avancer masqué.e.s. Surtout quand c’est bien fait. Et bon sang que John Scalzi semble savoir bien faire ! Tout le roman est une remarquable expérimentation de notre rapport à l’altérité, à notre incapacité chronique à sortir de nos schémas préconçus, une ode à l’importance de savoir faire un pas de côté, à la nécessité cardinale de savoir fournir un effort pour parfois changer de perspective ; précisément ce pour quoi j’estime que la Science-Fiction est un genre majeur trop longtemps boudé pour des raisons mesquines. Toutes les réflexions que les personnages formulent autour de ces « petites bêtes » indigènes ont beau être liées à des questionnements bassement financiers et matérialistes, elles soulèvent pour autant beaucoup d’excellentes questions à notre propre rapport aux autres, dans des circonstances pourtant bien moins exotiques que celles du roman. Les cibles des attaques de Scalzi sont évidentes, et peut-être un peu faciles, mais les attaques elles-mêmes n’en perdent pas pour autant de leur efficacité, ni de leur valeur profondément cathartique, puisqu’elles sont aussi actuelles que le propos de l’auteur sur bien des points. Et ce rapport à notre actualité est excessivement agréable à lire, surtout en sachant si bien équilibrer les moments de légèreté avec des moments de gravité ou d’émotion, appuyant le cœur du propos lorsqu’il le faut.

Ce roman fut un plaisir à lire, du début à la fin. Il a su me faire sourire, rire, réfléchir, saluer ses tours de passe-passe narratif, tout ça sans que je ne vois jamais le temps passer, submergé que j’étais par le simple kiff de lire un roman aussi simple et qui pourtant ne se complaît dans aucune facilités, parvenant même à vulgariser très intelligemment et malicieusement bon nombre de ses enjeux. J’ai été séduit comme rarement, c’est aussi simple que ça. Pour ce volume au moins, il me semble bien que l’engouement général est amplement mérité ; et j’ai très hâte de vérifier à quel point il le sera dans les suivants dont je me ferai acquéreur. Je vous conseille de faire la même chose.

Le syndrome Quickson

Publié le 29 juin 2020

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