Stéphane Pajot a le chic pour nous emmener dans des lieux mystérieux où la mort rôde, forcément. Après sa Deadline à Ouessant (voir notre article), le romancier nous plonge dans les eaux glacés du lac de Grand-Lieu. Un mélange de réel et de fiction troublant. Avec Anomalie P., Stéphane Pajot nous entraîne Vingt mille lieux sous le lac...
Kalash « bénit les hommes qui ont su préserver les arbres, les plantes au milieu du béton ». Mention particulière pour le Jardin du Luxembourg, pour Central Park et aussi pour le Jardin des Plantes de Nantes, ville où il est venu tuer un marin. Il pense que Tristan l’a vu.
Pablo est sur le point de se marier. Il enterre sa vie de célibataire avec une bande de copains et force muscadet. Un pari idiot, et le voilà qui disparait dans les eaux du lac de Grand-Lieu.
Une présentation de ce lac qui offre le cadre et sans doute plus à cette histoire s’impose ici. Le plus grand lac de plaine de France a un tel différentiel de superficie entre l’été et l’hiver que ses berges sont aléatoires. Les oiseaux migrateurs prisent ce site accueillant. Les chasseurs aussi (le parfumeur Guerlain en possédait 2700 ha qu’il a cédé à l’État en 1980). Une légende raconte que ce territoire était occupé au VIe siècle par Herbauge, cité où régnait la débauche (une sorte de ville jumelée à Ys). L’évêque (futur saint) Martin décide d’évangéliser ses habitants… qui le tabassent. Recueilli et soigné par un couple qu’il s’empresse de convertir, Martin tente de les sauver de la colère divine. Car Dieu, pas content de ce bordel, détruit la ville et la noie. Ainsi se forma le lac de Grand-Lieu. Aujourd’hui encore, on peut entendre sonner les cloches d’Herbauges le soir de Noël.
Le journaliste de Presse-Océan connait bien le coin. Il sait que cette autre Sodome armoricaine perdure sous le nom d’Herbadilia et qu’elle est gouvernée par les grenouilles. Là, le polar se teinte de fantastique (genre préféré de l’éditeur nantais l’Atalante, créateur et organisateur de l’excellent festival des Utopiales) en s’emparant de thèses totalitaires. Après voir lu ce roman frais, enlevé, glauque (au sens premier), surréaliste et fraternel, vous ne regarderez plus jamais de la même façon les animaux (mécaniques ou vivants). Jules Verne n’est pas loin.
Marie-Christine Biet
Unidivers - Le webzine culturel de Rennes