Les trois gros atouts de ce roman sont son riche univers, son ambiance gréco-japonaise épique, et surtout le style extrêmement agréable de l’auteur espagnol.

Zémal - Le culte d'Apophis
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En France, l’écrasante majorité de la SFFF que nous lisons provient de deux sources : l’édition en langue anglaise (américaine ou britannique pour l’essentiel), et la production francophone (Française, mais aussi belge, etc). Pourtant, certains éditeurs tentent de sortir des sentiers battus en nous proposant des auteurs venus d’autres horizons : on pense par exemple à Bragelonne (qui publie de la Fantasy allemande) ou à Fleuve Noir (avec Perry Rhodan), mais le champion toutes catégories de la publication d’auteurs ni-anglo-, ni franco-phones reste l’Atalante : d’auteurs allemands (comme Andreas Eschbach) à l’auteur espagnol (Javier Negrete) qui va nous occuper aujourd’hui, l’éditeur Nantais s’est fait une spécialité de dénicher des auteurs intéressants quel que soit le pays d’où ils puissent provenir (notez que cette tendance s’amplifie, tous éditeurs confondus, français ou autres, depuis quelques années, avec l’émergence d’auteurs indiens ou chinois, par exemple).

Javier Negrete, donc, est un auteur Madrilène qui a écrit dans un nombre ahurissant de genres : livres adultes et jeunesse / Young adult, SF, Fantasy, Fantastique, Uchronie, romans historiques et même… érotiques ! Zémal, l’épée de feu est le premier volume d’un cycle, Chronique de Tramorée, qui en compte 4 (5 dans l’édition française, le quatrième étant divisé en deux livres). Mais avant tout, rendons à César… C’est à la suite de la lecture de l’excellente critique de la non-moins excellente Boudicca sur le Bibliocosme (un blog SFFF hautement recommandable) que je me suis intéressé à ce cycle (et également du fait de ses superbes couvertures, dans un style très Jeu de rôle -qui me rappelle celui de l’illustrateur des couvertures de Rolemaster– qui me « parle » beaucoup).

Univers

L’aspect martial de l’univers rappelle le Japon ancien (le Tahédo n’est qu’un synonyme pour le Bushido), La septième épée de Dave Duncan et les Bene Gesserit de Dune. Les épéistes portent un bracelet avec un certain nombre de marques (comprenez de Dan) en fonction de leur degré d’expertise. Il y a des initiés, des apprentis et des maîtres (sept marques ou plus). Ces derniers sont appelés Tahédorans, et seul un candidat sur 5000 parvient à ce niveau.

Un des protagonistes, Kratos (clairement modelé sur la divinité grecque du même nom, ce qui, vu la qualité de professeur de grec ancien de l’auteur et sa passion pour ce panthéon, n’étonnera personne) est un des seuls à arborer neuf marques et à maîtriser le troisième niveau d’Accélération (pensez à un surboost des fonctions métaboliques pour atteindre une vitesse de déplacement, une perception et des réflexes super-humains) avec le maître du site d’entraînement (qui possède également un dixième rang honorifique). Les autres Tahédorans ne maîtrisent que la seconde accélération et l’écrasante majorité ne dépasse pas la huitième marque.

Les relations entre épéistes sont très ritualisées, tout comme l’est le rapport à l’épée : clairement modelées sur les Katana, ces dernières possèdent toutes un nom. La plus célèbre est Zémal, car elle a été forgée dans les feux de l’enfer par le Dieu Forgeron en personne. Pensez à une arme conférant le pouvoir politique à son porteur à la manière d’Excalibur et possédant la puissance d’un sabre-laser, et vous aurez une bonne idée de la chose. Le porteur de Zémal est appelé le Zémalnit : à sa mort, les candidats, tous Tahédorans, s’affrontent pour avoir le droit de la brandir. Cette fois, ils sont au nombre de sept, six hommes et une femme.

Lorsque l’histoire commence, cet univers approche de son an Mil, sur fond de problèmes politiques, militaires et religieux : le porteur de Zémal vient de mourir (et pas de façon naturelle…), alors que dans le sud, l’Envoyé est à la tête d’une croisade qui cherche à imposer par le fer et le feu le monothéisme dans un monde caractérisé jusque là par la coexistence harmonieuse de panthéons divers et variés, et que dans le nord, le Prince Togul Barok se fait de plus en plus ambitieux, ce qui pose un problème vu qu’il est un des Tahédorans pouvant prétendre à la possession de l’épée mythique. S’il venait à l’obtenir, ce seigneur de la guerre mettrait le monde à genoux…

L’aspect magique est à la fois riche et original : à la mort de son maître, un des protagonistes hérite de sa Syfron, sorte de repli de l’espace et du temps contenant la mémoire de ses précédents porteurs, ainsi que pouvoirs et sortilèges. Si un mage est tué, sa Syfron implose, provoquant l’équivalent d’une petite explosion nucléaire. Les mages sont très peu nombreux, sept pour être précis (comme dans le livre de Dave Duncan, ce chiffre est omniprésent et possède de fortes connotations mystiques). Les combats entre mages sont très bien rendus et d’une puissance assez apocalyptique.

Puisqu’on parle d’armes nucléaires, il y a de nombreuses allusions à peine voilées (notamment, à un moment, à des nanomachines, et à plusieurs reprises à ce qui ne peut être que des retombées radioactives) qui laissent clairement entendre que cet univers n’a rien d’un monde de fantasy classique : apparemment, ce serait un contexte science-fantasy et post-apocalyptique (même si je ne pense pas que la planète en question soit la Terre, au vu de la présence de trois lunes et d’un Anneau planétaire). En fait, j’ai eu l’impression d’être au croisement de Phénix de Bernard Simonay et du jeu de rôle Empires & Dynasties (pour l’aspect « colonie technologique retombée à un stade médiéval »). Cet aspect est encore très peu sensible dans ce tome 1, mais à mon avis il va s’amplifier dans les suivants. En tout cas, sur le volet purement Fantasy, l’ambiance gréco-japonaise (les deux influences se mariant parfaitement) est vraiment très plaisante.

Un style magistral…

La structure est classique (linéaire) lors des 250 premières pages environ, avant de se faire plus ambitieuse : elle entrelace alors flash-forward, scènes dans le présent et flash-back. L’auteur maîtrise son sujet, on ne se sent (presque) jamais dérouté.

Ce qui frappe avant tout, c’est la qualité de la plume de Javier Negrete (et celle du traducteur, d’ailleurs) : il se révèle être un conteur assez exceptionnel, capable de descriptions très évocatrices de paysages, de villes cosmopolites, de forêts enchanteresses ou de créatures tour à tour merveilleuses ou terrifiantes. Ce roman est avant tout un voyage, et la Tramorée est tangible, vivante, sous le regard du lecteur. De plus, rares sont les auteurs aussi à l’aise dans le registre du merveilleux que dans celui du sang et tripes (sans que ce livre n’appartienne, même de loin, au grim & gritty), dans la description des pratiques arcanes autant que dans celle des passes d’armes des maîtres de l’épée, dans le registre humoristique autant que dans l’art de brosser une scène épique ou horrifique. Mine de rien, être à l’aise et intéressant dans autant de registres, ce n’est pas donné à tout le monde.

Je ne suis jamais déçu par l’Atalante, mais là je dois dire que la couverture est vraiment superbe (avec un beau liseré écarlate), que les cartes sont de qualité, et les lettrages de débuts de chapitres également. Plus encore que d’habitude, du très, très beau boulot.

En conclusion

Les trois gros atouts de ce roman sont son riche univers, son ambiance gréco-japonaise épique, et surtout le style extrêmement agréable de l’auteur espagnol. Ses défauts sont (dans ce premier tome, du moins) des personnages et une intrigue un peu faibles. Mais au final, c’est un bon livre de (science-)fantasy, avec lequel on passe tout de même de forts agréables moments. La lecture des tomes suivants est programmée avant la fin de l’année.
Publié le 28 avril 2016

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