Ru est un livre politique, anti-autoritaire, anticapitaliste et c'est aussi une sacrément bonne histoire. Ru est tragique, émouvant, rouge, en colère. Ce roman vous rappellera après bien des péripéties qu'on n'arrête pas la marche du monde, quelle qu'y soit notre place, mais qu'on peut essayer de le changer.

Ru - Un papillon de la Lune
Article Original

De l'auteur, j'avais lu Enfin la nuit en 2011, juste avant le blog (j'ai cherché ma chronique, persuadée de l'avoir rédigée mais en fait non), j'en ai un bon souvenir, mais je l'avoue un peu flou !

Quoiqu'il en soit, j'ai entendu parler de Ru par plusieurs libraires et après un tweet de l'auteur disant que (je ne cite pas, j'interprète) "crotte de biquette, lisez mon livre, je suis au top de mon écriture et j'ai des trucs à dire bordel", j'ai réalisé que j'étais une grosse curieuse et donc j'ai ouvert le roman sur le prologue. Qui m'a soufflée. Ouch dans les dents, direct.

J'évacue un point dès le début de cette chronique : si vous avez peur que ce bouquin soit revendicatif, sachez qu'il l'est MAIS il est aussi beaucoup plus que ça. Si certains auteurs, voulant défendre leurs idées, oublient de faire rêver le lecteur, Camille Leboulanger n'est pas de ceux-là. Il crée ici un véritable et incroyable monde avec une plume éloquente. Donc foncez.

Ru, c'est le reflet de notre société actuelle. Sauf qu'on se trouve dans une énorme bestiole rouge appelée Ru, qui un jour s'est écroulée sur toute une région côtière, écrasant tout ce qu'il y avait sous elle dont les habitants. Suite à cette catastrophe, la bête semblant morte, un homme nommé Romano a décidé d'explorer l'intérieur de son corps (oui elle est vraiment gigantesque) puis a eu l'idée complètement folle que puisque Ru avait recouvert une région habitée, on pouvait faire d'elle une région habitée aussi. Donc dans Ru, il y a des villes, des routes, des lacs, un chemin de fer (le RuWay, qui entre et sort par l'Anus de Ru). 

Comme partout, il y a des endroits riches, situés vers la Tête et dans les membres, et d'autres beaucoup moins favorisés, plutôt en dessous de la ceinture (vivre dans les intestins, ça fait rêver). Il y a aussi la Préfecture, construite dans la Tête, au-dessus du cerveau. C'est là que le Préfet gouverne d'une main de fer, et il n'est pas sans rappeler notre cher président de la Macronie. Tout cela va basculer dans un chapitre démentiel.

L'intrigue suit trois personnages centraux :

  • Y : un réfugié arrivé par la mer, qui dans le prologue nous offre une vision partielle du gigantisme de Ru. Bouleversante entrée en matière avec l'histoire de ce jeune garçon d'une douzaine d'années, sans mémoire qui semble naître sur cette plage en bas de Ru après une traversée funeste... Ses conditions de vie, d'éducation, de travail mais aussi sa force et son adaptabilité sont mises en avant dans le roman. 
  • Agathe : une jeune femme née dans un quartier favorisé appelé CuMiGa (Cuisse Milieu Gauche), qui à l'université se rapproche des milieux d'extrême gauche. Lors de l'occupation des locaux universitaires, les étudiants se font déloger par les forces de l'ordre de la Préfecture, et Agathe perd un œil. Elle devient alors une marginale et rejoint Regard rouge, une organisation politique clandestine.
  • Alvid : un cinéaste marié à Sandro, chanteur célèbre qui a disparu dans Ru alors qu'il devait y donner un concert. Alvid, invité à un festival et récompensé pour son film Hors, le cherche et se perd à son tour dans la majesté et l'étrangeté de Ru et décide de faire un documentaire sur la bête. 

L'imagination de Camille Leboulanger est assurément fertile. Devant Ru, on pense à Griaule, l'auteur lui a vu germer l'idée de la bête en regardant... Pacific Rim de Guillermo Del Toro (un film culte que j'adore personnellement). Ru est un Kaiju immense et habité. Toute la géographie organique est inventive et passionnante. L'histoire se déroule sur plusieurs années, un temps long qui permet à l'auteur de faire évoluer ses personnages et de construire un univers solide bien qu'improbable. Les descriptions sont immersives et j'ai aimé arpenter Ru avec les différents personnages, chacun ayant son regard propre sur la bête. Ru est une métaphore de notre société, thème classique en SF et Fantasy, mais moins classique à l'intérieur d'un animal géant.

Il y a des murs dans le monde, pense-t-il avec fatalisme, des barrières que je ne suis pas censé traverser.

Ru est un livre politique, anti-autoritaire, anticapitaliste et c'est aussi une sacrément bonne histoire. Ru est tragique, émouvant, rouge, en colère. Ce roman vous rappellera après bien des péripéties qu'on n'arrête pas la marche du monde, quelle qu'y soit notre place, mais qu'on peut essayer de le changer. De Camille Leboulanger, publié chez L'Atalante : chapeau !

Publié le 30 juin 2021

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