Malboire est un récit qui fait froid dans le dos, car cet avenir dont Camille Leboulanger parle nous semble parfois si proche qu’il est effrayant d’être mis par le biais d’un livre devant ce fait accompli. Ce qui est encore plus inquiétant à vrai dire est de penser au fait qu’il est même sûrement déjà trop tard pour agir, qu’on ne peut faire que retarder ou endiguer. À méditer, donc.

Les mots de Mahault
Article Original

Malboire, Camille Leboulanger

Malboire est un roman paru en 2018 aux éditions de L’Atalante et à côté duquel je suis complètement passé lors de sa sortie. Sa sélection au PIB n’est pourtant pas une surprise lorsqu’on le lit : réunissant littérature de l’imaginaire, histoire forte, personnages tout aussi fort et écologie, nous tenons sûrement ici le roman le plus engagé de la sélection.

Un futur proche, sur notre Terre. Le récit nous est raconté par Zizare, « né de la boue ». Ayant marché sans en avoir conscience dans une boue infâme depuis des années, il s’éveilla un jour, et prit conscience d’être grâce à un homme qui le recueillit, Arsen. Il se choisit un prénom, lui qui n’en avait pas, tomba amoureux puis décida de suivre sa destinée, à la recherche d’un barrage derrière lequel se situerait une eau saine.

« C’était sans doute cela qui nous séparait à tout jamais de Ceux de la boue, trop effacés pour reconnaître simplement la présence d’un autre qu’eux. Mais c’était aussi la différence avec ceux du Temps Vieux : je ne l’ai pas abandonnée à la boue et aux monstres, je n’ai pas détourné le regard, je n’ai pas disparu. « Plus jamais l’un sans l’autre. » Avaient-ils jamais possédé la capacité de prononcer une phrase pareille, de la croire et de s’y tenir ?
Marchant l’un après l’autre, dans cet éternel champ qui ne donnerait plus jamais rien, une idée nouvelle m’est venue, plus vraie que toutes les autres.
C’étaient eux, les véritable mange-terre.
« Ils l’avaient, ils l’ont dévorée. Ils ne nous ont laissé que les restes. » »

Entrer dans Malboire, c’est accepter de perdre ses repères. Le personnage de Zizare, tout comme les autres, ignore l’histoire des humains l’ayant précédé, et leur responsabilité dans le fait que l’eau est devenu à ce point impropre à quoique ce soit. Par exemple, il ne sait pas que Floréal, ce nom qu’il voit sur des sacs, des entrepôts, des machines dont il ignore d’ailleurs l’utilité n’est pas un Dieu ou un personnage illustre, mais probablement une entreprise d’herbicides : un des symboles forts de la pollution aujourd’hui. Il y a une multitude de références à l’humain d’autrefois d’ailleurs, que l’on devine mais que Zizare et les autres ne voient pas comme telles.

« C’est à ce moment que j’ai décidé pour de bon d’être fou. Comme Mivoix et comme Arsen, dont tous riaient jusqu’à ce que sa machine trouve l’Eau. Depuis, personne n’osait plus ricaner. Le fou avait eu raison. Rester sain d’esprit, c’était accepter le monde tel qu’il était : c’état piétiner le sable en priant chaque fois que son talon touchait le sol qu’il n’en ferait pas sortir la Malboire. Être sain, c’était se satisfaire des maladies, du tord-boyaux exécrable, de l’amer gruau de maïs quand il réussissait à pousser dans la terre exsangue. Et aussi de la démarche boitillante des volailles, le battement ridicule de leurs moignons déplumés, des bêlements étranglés des laineux quand les tumeurs leur prenaient la gorge et qu’il fallait les abattre, par pitié et pour pouvoir trouver le sommeil la nuit. Être sain, c’était le règne de la Malboire. »

Malboire est un récit qui fait froid dans le dos, car cet avenir dont Camille Leboulanger parle nous semble parfois si proche qu’il est effrayant d’être mis par le biais d’un livre devant ce fait accompli. Ce qui est encore plus inquiétant à vrai dire est de penser au fait qu’il est même sûrement déjà trop tard pour agir, qu’on ne peut faire que retarder ou endiguer. À méditer, donc.

Publié le 24 avril 2019

à propos de la même œuvre