Camille Leboulanger signe avec « Malboire » un roman post-apo atypique et poétique, qui met en scène un monde ravagé et des personnages qui refusent de se résigner. Un récit court mais percutant, qui continue à nous trotter dans la tête bien après la dernière page refermée.

Le Bibliocosme
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De la fantasy au post-apo

Après une sympathique histoire de fantasy parue en 2017 et mettant en scène un barde à la poursuite de son luth (« Bertram le baladin »), Camille Leboulanger a publié l’été dernier son troisième roman dans lequel il revient au post-apo, déjà au cœur de son premier ouvrage (« Enfin la nuit »). L’auteur nous propose de suivre le parcours d’un jeune homme dont la conscience s’éveille soudainement alors qu’il en était jusqu’à présent réduit au stade de presque-zombie, déambulant sans but et sans émotion au sein des « mangeurs de boue ». Le voilà à présent éveillé, alerte, et, heureusement, prit sous l’aile d’un vieil excentrique, Arsen, qui va lui apprendre à parler, lire, écrire, et comprendre le monde qui l’entoure, bref à redevenir un homme. Un monde très différent du notre et dont on devine pourtant qu’il n’en est que la continuité : un monde où toute l’eau est devenue toxique, où la grande majorité de la population a disparue, et où on ignore tout ou presque du passé de l’humanité et de la nature des traces que la dernière génération a laissé. Dans ces circonstances, survivre relève du parcours du combattant, surtout que la Malboire, l’eau polluée, est partout, et que la seule façon de s’hydrater consiste à récolter l’eau de pluie avant qu’elle ne touche le sol. Arsen, toutefois, caresse l’espoir fou de ne plus dépendre des cieux pour avoir accès au liquide vital et bricole depuis des années une machine lui permettant de forer la terre. Qui sait, s’il parvient à creuser vraiment profond, peut-être tombera-t-il sur de l’eau douce potable, et non plus sur la Malboire !


Un voyage initiatique sur fond de fable écologique

L’écriture de Camille Leboulanger est particulièrement soignée et il s’en dégage une poésie à laquelle j’ai tout de suite été sensible. Certes, il est un peu déconcertant de se retrouver plonger sans véritables repères dans ce monde presque mort, au côté de ces personnages qui ne partagent pas les mêmes codes que nous, mais il suffit de se laisser porter par le récit pour que l’immersion ait lieu, tout naturellement. Cela devient d’autant plus simple au fil de l’œuvre, non seulement parce que les personnages et la Malboire nous paraissent peu à peu plus familiers, mais aussi parce que les vestiges de notre société se font de plus en plus présents au fil des pages. Des vestiges qui n’évoquent évidemment rien chez les personnages mais qui ne manquent pas d’éveiller des échos chez le lecteur. On peut d’ailleurs saluer l’intelligence de l’auteur qui prend le parti de ne pas prendre ses lecteurs pour des idiots en cherchant à expliciter sans arrêt toutes les bizarreries du « Temps Vieux » croisés par nos héros : on comprend sans avoir besoin d’explications à quoi correspondent ces terrifiants monstres qui s’acharnent sans relâche sur la terre, ou ce qu’est le Grand Clapot, immense étendue d’eau non contaminée et pourtant imbuvable. La dimension écologique du texte saute aux yeux, et, compte tenu du contexte mondial actuel, ce n’est évidemment pas un hasard. Certains pourront sûrement être gênés par le fait que le récit prend parfois son temps, mais on partage tellement la consternation du protagoniste face à ce que le monde est devenu qu’on finit par apprécier ce rythme posé.


Un décor et des personnages atypiques et marquants

L’ébahissement est d’autant plus grand au fil du voyage du personnage qu’il nous permet de découvrir différents endroits de ce monde ravagé, ainsi que les manières très différentes dont les habitants se sont adaptés. Il y a évidemment des villageois ordinaires, qui récoltent l’eau de pluie, se suffisent de ce qu’ils ont et vivent dans des bâtiments du Vieux Temps dont seuls quelques enseignes témoignent encore de la présence d’une précédente civilisation. Il y a aussi les Planches à mort, ces hommes qui attendent inlassablement sur leur barrage qu’une nouvelle vague mortelle déferle sur le monde. Et puis il y a la Feuillue et son équipage de Batras, qui arpentent le monde à la recherche d’En Haut, un endroit où, selon la légende, la terre n’aurait pas été atteinte par la contamination et où resteraient encore de grandes quantités d’eau potable. Au fil des pérégrinations de notre héros, on fait la rencontre de plusieurs personnages marquants, à l’image du pathétique Va t-en, ou encore de l’implacable Feuillue. Les protagonistes sont finalement assez peu caractérisés mais deviennent très vite attachants. Moins que leur personnalité elle-même, c’est la nature du lien qui les unit les uns aux autres qui émeut le lecteur. La relation qu’entretiennent Mivoix et Zizare est d’autant plus émouvante qu’on n’appréhende son personnage à elle que par son regard à lui, et que cette relation se passe la plupart du temps de mots. Difficile également de ne pas se prendre d’affection pour le vieil Arsen, dont la détermination et l’ambition forcent le respect.

Camille Leboulanger signe avec « Malboire » un roman post-apo atypique et poétique, qui met en scène un monde ravagé et des personnages qui refusent de se résigner. Un récit court mais percutant, qui continue à nous trotter dans la tête bien après la dernière page refermée.

- Boudicca, le 4 février 2019.

Publié le 9 février 2019

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