Troisième volet des Chroniques des rivages de l’Ouest, Pouvoirs a reçu le prix Nebula 2008 du meilleur roman. Dans ce dernier récit de la trilogie, le vrai pouvoir est dans l’apprentissage de la liberté, par la mémoire et la culture. L’enfant, puis l’adolescent esclave devient un adulte libre. Prisonnier de sa famille et de la société qui l’assujettit à un rôle de marionnette, qui le poursuit quand il s’émancipe, le jeune soumis trouve sa voie grâce au savoir. Et s’ils sont si peu nombreux à trouver la leur, c’est qu’il doit bien s’agir d’un « pouvoir », salutaire pour le héros et salutaire pour la société sur laquelle il exercera, par son esprit et sa voix, un véritable pouvoir. C’est Gavir lui-même qui nous conte son histoire. Sans parti pris, sans amertume, il relate les faits tels qu’il les a perçus au moment où il les a vécus. Élevé très jeune dans la famille Arca, il est reconnaissant à Père et à Mère de traiter les esclaves avec justice et sans cruauté. Proche de sa sœur, Callo, la seule personne à qui il peut se confier librement, il se réfugie dans la lecture et l’histoire d’Etra et des rivages de l’Ouest. En dépit des vexations jalouses de quelques enfants de la famille, il se sent chez lui parmi les siens. La guerre entre Cités-Etats va changer la donne. Sollicité par des maîtres, il va découvrir des formes de littérature interdites, prônant la liberté et l’égalité des citoyens. Il va découvrir l’impuissance et la haine, quand sa soeur, pourtant promise à l’un des enfants de la famille, sera humiliée et tuée par l’un de ses persécuteurs.   Cet événement va l’entraîner, presque fortuitement, dans une marche progressive vers la liberté. Une liberté individuelle et sauvage, d’abord, puis une liberté collective de révoltés, non dénuée de soumission. Son don de mémoire lui vaut alors un certain confort. Son don de prescience attisera les convoitises lorsqu’il sera de retour dans son village natal. Gavir tire parti de ses pouvoirs, mais il est aussi toujours, lui-même, un enjeu de pouvoir. Il représente la connaissance, le savoir. Il est convoité par la famille, par les maîtres d’Etra, par le général de la forêt, qui veut libérer les esclaves, par les sorciers des Marais. Ce n’est que parmi d’autres hommes de savoir qu’il trouvera la paix.   Ursula Le Guin, dont les qualités de conteuse ne se vantent plus, a le pouvoir de recréer de l’intérieur, à travers les yeux d’un enfant, une société esclavagiste, mais vertueuse, telle la Rome des grands siècles. Famille élargie, grande ville agricole à la campagne, vertu aristocratique et charges sénatoriales, Gavir vit dans un monde qu’il considère comme naturel. Et cet univers s’impose au lecteur, avec ses grandeurs et ses infamies, où les rancœurs, les jalousies, les passions et les bonheurs simples sont retracés avec tendresse et rigueur, sous le scalpel aiguisé d’une ethnologue pleine de compassion. Un enchantement de dépaysement et de lecture.   Ursula Le Guin ne s’appesantit sur rien, mais ne voile rien. Comme une caméra qui balaie incidemment un paysage sans le juger, mais en le découvrant lentement tel que le réalisateur le voit, la conteuse effleure la société et en dévoile les failles à travers le parcours singulier de son personnage. Les failles, mais aussi la voie libératrice, Via libertatis. Car dans toute oppression, il y a une issue de secours. Ursula Le Guin ne donne pas de leçon. Elle déroule un chemin de survie, comme le fil d’un destin ou d’une destination, en suivant son héros.    Cette capacité à traiter en profondeur humaine un sujet qu’elle semble frôler, d’un regard presque historique, est vraiment propre à Ursula Le Guin, qui reste l’une des plus belles voix de la Fantasy et de la SF. Ce n’est pas tant le style que le ton et la distance mêlée d’empathie forte et généreuse avec ses personnages qui sont remarquables. Le rythme est lent, comme pour donner davantage de profondeur à l’instant ou à la mémoire des sentiments. Le point de vue est empreint tout à la fois de proximité et de recul. On devine que le héros qui s’exprime à la première personne a désormais un âge avancé et qu’il se penche sur sa jeunesse avec une compréhension nostalgique. L’auteur fictionnel est blasé, rien dans ses souvenirs n’évoque l’indignation ou la réprobation définitive. Il ne démontre rien. Il raconte et ce faisant, il montre la voie.   Et c’est sans certitude, sans universalisme saillant, sans l’air d’y toucher, qu’Ursula Le Guin nous rappelle ce pour quoi nous apprenons, ce pour quoi nous savons : pour respecter les autres et être libres.   Marc Alotton - ActuSF  

Le Guin - Pouvoirs - ActuSF
Troisième volet des Chroniques des rivages de l’Ouest, Pouvoirs a reçu le prix Nebula 2008 du meilleur roman.
Dans ce dernier récit de la trilogie, le vrai pouvoir est dans l’apprentissage de la liberté, par la mémoire et la culture. L’enfant, puis l’adolescent esclave devient un adulte libre. Prisonnier de sa famille et de la société qui l’assujettit à un rôle de marionnette, qui le poursuit quand il s’émancipe, le jeune soumis trouve sa voie grâce au savoir. Et s’ils sont si peu nombreux à trouver la leur, c’est qu’il doit bien s’agir d’un « pouvoir », salutaire pour le héros et salutaire pour la société sur laquelle il exercera, par son esprit et sa voix, un véritable pouvoir.
C’est Gavir lui-même qui nous conte son histoire. Sans parti pris, sans amertume, il relate les faits tels qu’il les a perçus au moment où il les a vécus. Élevé très jeune dans la famille Arca, il est reconnaissant à Père et à Mère de traiter les esclaves avec justice et sans cruauté. Proche de sa sœur, Callo, la seule personne à qui il peut se confier librement, il se réfugie dans la lecture et l’histoire d’Etra et des rivages de l’Ouest. En dépit des vexations jalouses de quelques enfants de la famille, il se sent chez lui parmi les siens. La guerre entre Cités-Etats va changer la donne. Sollicité par des maîtres, il va découvrir des formes de littérature interdites, prônant la liberté et l’égalité des citoyens. Il va découvrir l’impuissance et la haine, quand sa soeur, pourtant promise à l’un des enfants de la famille, sera humiliée et tuée par l’un de ses persécuteurs.
 
Cet événement va l’entraîner, presque fortuitement, dans une marche progressive vers la liberté. Une liberté individuelle et sauvage, d’abord, puis une liberté collective de révoltés, non dénuée de soumission. Son don de mémoire lui vaut alors un certain confort. Son don de prescience attisera les convoitises lorsqu’il sera de retour dans son village natal. Gavir tire parti de ses pouvoirs, mais il est aussi toujours, lui-même, un enjeu de pouvoir. Il représente la connaissance, le savoir. Il est convoité par la famille, par les maîtres d’Etra, par le général de la forêt, qui veut libérer les esclaves, par les sorciers des Marais. Ce n’est que parmi d’autres hommes de savoir qu’il trouvera la paix.
 
Ursula Le Guin, dont les qualités de conteuse ne se vantent plus, a le pouvoir de recréer de l’intérieur, à travers les yeux d’un enfant, une société esclavagiste, mais vertueuse, telle la Rome des grands siècles. Famille élargie, grande ville agricole à la campagne, vertu aristocratique et charges sénatoriales, Gavir vit dans un monde qu’il considère comme naturel. Et cet univers s’impose au lecteur, avec ses grandeurs et ses infamies, où les rancœurs, les jalousies, les passions et les bonheurs simples sont retracés avec tendresse et rigueur, sous le scalpel aiguisé d’une ethnologue pleine de compassion. Un enchantement de dépaysement et de lecture.
 
Ursula Le Guin ne s’appesantit sur rien, mais ne voile rien. Comme une caméra qui balaie incidemment un paysage sans le juger, mais en le découvrant lentement tel que le réalisateur le voit, la conteuse effleure la société et en dévoile les failles à travers le parcours singulier de son personnage. Les failles, mais aussi la voie libératrice, Via libertatis. Car dans toute oppression, il y a une issue de secours. Ursula Le Guin ne donne pas de leçon. Elle déroule un chemin de survie, comme le fil d’un destin ou d’une destination, en suivant son héros. 
 
Cette capacité à traiter en profondeur humaine un sujet qu’elle semble frôler, d’un regard presque historique, est vraiment propre à Ursula Le Guin, qui reste l’une des plus belles voix de la Fantasy et de la SF. Ce n’est pas tant le style que le ton et la distance mêlée d’empathie forte et généreuse avec ses personnages qui sont remarquables. Le rythme est lent, comme pour donner davantage de profondeur à l’instant ou à la mémoire des sentiments. Le point de vue est empreint tout à la fois de proximité et de recul. On devine que le héros qui s’exprime à la première personne a désormais un âge avancé et qu’il se penche sur sa jeunesse avec une compréhension nostalgique. L’auteur fictionnel est blasé, rien dans ses souvenirs n’évoque l’indignation ou la réprobation définitive. Il ne démontre rien. Il raconte et ce faisant, il montre la voie.
 
Et c’est sans certitude, sans universalisme saillant, sans l’air d’y toucher, qu’Ursula Le Guin nous rappelle ce pour quoi nous apprenons, ce pour quoi nous savons : pour respecter les autres et être libres.
 
Marc Alotton - ActuSF
 
Publié le 23 mai 2011

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