Johan Heliot est écrivain. Et cela se remarque dans la justesse des images utilisées, dans la puissance des évocations, dans l’habileté de la construction du récit, dans la force des personnages.

Les Enfants de la Terreur - Le nocher des livres
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Robespierre n’est pas mort, comme prévu en 1794. Un évènement imprévu lui a permis s’en sortir, de rebondir et de diriger, avec d’autres, un régime infiniment plus impitoyable que celui que nous avons connu. La Terreur porte vraiment bien son nom. Les emprisonnements et exécutions se multiplient. Premières victimes : les plus pauvres. Dont les enfants. Et ils sont nombreux à battre le pavé, orphelins ou abandonnés par leurs parents, seuls face aux adultes voraces et sans morale. C’est dans ce Paris sale et sombre que tentent de se faire une place Sade et le chevalier d’Éon, figures fortes de cette période troublée.

Une Terreur plus vraie que nature

Je te préviens tout de suite, lecteur, lectrice, je ne suis pas historien. Et, même si j’ai suivi attentivement (enfin, peut-être, mais c’est loin tout ça) mes cours à l’école, je ne me suis que peu penché à nouveau sur la période de la Révolution française et ses suites. Autrement dit, je suis entré dans ce roman avec bien peu de bases et, donc, quelques appréhensions : allais-je être noyé sous des noms inconnus, des dates flous ? Que nenni, point, nullement. En quelques pages, j’ai été rassuré. Johan Heliot sait recréer une période sans rouler des mécaniques, sans afficher ses connaissances au détriment du plaisir de lecture. Ici, tout est fait pour que l’on pénètre le plus facilement possible dans l’histoire (et dans l’Histoire, par voie de conséquence). Et même si l’on croise un grand nombre de figures connues, ou moins connues, de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècles, elles sont toutes présentées dans leur contexte, intégrées dans le récit sans que l’on se sente obligé d’aller fouiller dans un manuel d’histoire (ce qui ne veut pas dire que l’on n’a pas envie d’aller plus loin, ensuite, en cherchant les différences entre notre passé et cette uchronie). J’ai particulièrement apprécié Fouché, machiavélique à souhait, mort-vivant qui traîne derrière lui un sillage de mort et de désolation.

Paris, grouillante de vie et de mort

Pour un tel casting, il fallait un écrin de choix. Paris, donc. Mais attention, pas un Paris au rabais ! Johan Heliot sort le grand jeu pour nous le rendre vivant : vue, ouïe, odorat, goût et même toucher sont mis à contribution. On est en immersion totale. Et, dans pas mal de cas, cela ne donne vraiment pas envie ! Car nous en visitons surtout les bas-fonds, à la suite des enfants, véritables héros de cette histoire. Et cette ville pue, elle salit, elle assourdit. Et elle fait peur. Au moindre carrefour, on risque de se faire détrousser, voire battre et égorger. Pour sa bourse, pour ses opinions. Car la Terreur sévit sur la capitale. Beaucoup d’hommes ont été emprisonnés ou exécutés. Sans compter ceux qui ont été enrôlés. Car dans cette branche temporelle, Bonaparte, allié avec les Comité, a pris la tête des armées et part attaquer l’Angleterre : Londres est à portée de fusils ! Paris est donc livré aux troupes, de miliciens comme de truands. Et beaucoup se retrouvent pris entre deux maux, ne sachant lequel les fera périr.

Deux héros hors norme

Dans ce gigantesque maelström, il fallait des personnages centraux puissants et charismatiques, des êtres dont on imagine la chair et les blessures, les cicatrices. Là aussi, pari réussi : Donatien Alphonse François de Sade et Charles Geneviève d’Éon de Beaumont emplissent les pages de leur présence plus vraie que nature. Le premier cherche un nouveau souffle après ses années d’emprisonnement et de mise à l’écart suite à ses textes licencieux. Il a besoin de croire encore à quelque chose. Et de subvenir aux besoins de sa petite famille. Or les temps sont durs et sa signature ne fait plus recette. La seconde (ou le second, selon) revient d’Angleterre et cherche à vivre, le plus simplement possible. Mais son passé l’empêche d’obtenir un emploi. Les deux vont finir par se croiser et embrasser la même cause. Celle des enfants de la Terreur. Ces enfants laissés pour compte, victimes d’adultes sans pitié qui les utilisent comme simples pions dans leurs querelles vaines et violentes, leurs jeux inhumains de pouvoir.

Johan Heliot est historien. Il a même enseigné en temps que professeur d’histoire. Et cela se voit, cela se sent, au fil des pages, au détour des paragraphes, au gré d’une idée, d’une anecdote. Johan Heliot est écrivain. Et cela se remarque dans la justesse des images utilisées, dans la puissance des évocations, dans l’habileté de la construction du récit, dans la force des personnages. Son Frankenstein 1918 m’avait touché, m’avait ému par sa folie et son ancrage, malgré tout, dans le réel. Les Enfants de la Terreur m’ont également pris par le cœur. Merci, Monsieur Heliot, pour cette histoire. Revenez-nous vite avec d’autres du même tonneau.

Publié le 22 mars 2022

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