C'est enchantée que je ressors de cette réécriture du mythe du changelin, transporté ici par l'auteur dans un contexte post Première Guerre mondiale. Frances Hardinge parvient à créer pour l'occasion une véritable atmosphère d'étrangeté, alimentée notamment par la confrontation entre un folklore plus volontiers médiéval et un décor moderne dont elle s'amuse à exploiter les innovations. L'auteure tisse aussi et surtout un très beau portrait de la relation que peuvent entretenir deux soeurs, relation dont elle parvient à saisir toute la complexité et la tendresse sans jamais tomber dans le mièvre ou le convenu. Une vraie réussite !

Hardinge - Le Chant du coucou - Babelio
Article Original

Présenté en début d'année par les éditions L'Atalante comme leur plus gros coup de coeur de l'année, Le chant du coucou est le sixième roman de Frances Hardinge, auteure anglaise jusqu'à présent surtout connue pour ses ouvrages destinés à la jeunesse. Qu'en est-il avec ce nouveau roman à la couverture et au résumé assez énigmatiques ? Premier constat : si la protagoniste de ce one-shot est certes une enfant, le ton et les thématiques traitées par l'auteure ne laissent aucun doute quant au fait qu'elle s'adresse avant tout à un public adulte. [...]
Le terme n'est, il me semble, jamais employé dans le roman mais vient immédiatement à la bouche du lecteur, et ce des les premières pages : Frances Hardinge nous raconte une histoire de changelin, ces leurres laissés par les fées à la place d'un véritable enfant humain. Il s'agit là d'une légende qu'on trouve essentiellement dans les folklores scandinave, irlandais ou encore écossais, et dont on retrouve ici la plupart des caractéristiques, que ce soit en ce qui concerne la véritable nature du leurre, la cause de la substitution, ou encore les manières de les confondre et de s'en débarrasser. L'auteure s'est de toute évidence bien documentée sur le sujet qu'elle se réapproprie ici avec talent, en réutilisant, certes, tous les éléments clés du mythe, tout en parvenant à se détacher du matériau d'origine pour donner vie à une histoire complètement originale. Le choix de situer l'action en Angleterre, juste après la fin de la Première Guerre mondiale, est notamment très judicieux et permet de renforcer l'étrangeté de la situation, la légende du changelin se rattachant davantage dans l'imaginaire collectif à un décor médiéval. Or, c'est justement ce décalage, ce sentiment que quelque chose cloche sans qu'on puisse vraiment mettre le doigt dessus, qui fait toute la force de ce roman. Dès les premières pages, le lecteur se trouve ainsi totalement captivé par le mystère qui entoure le retour de la petite Triss et par les anomalies qui se multiplient autour d'elle. Frances Hardinge parvient à créer une atmosphère pesante qui, sans aller jusqu'à tomber dans le récit purement horrifique, provoque à plusieurs reprises le malaise chez le lecteur, sensible non seulement aux bizarreries qui entourent la vie de cette famille mais aussi à la panique montante de l'héroïne qui ne comprend pas ce qu'il lui arrive.

Et en terme de bizarreries, on peut dire que l'auteure a fait preuve d'une sacrée imagination ! Si elle réutilise un certain nombre de créatures issues d'un bestiaire emprunté au folklore scandinave ou irlandais, ce sont néanmoins ses propres inventions qui marquent surtout l'esprit du lecteur. Le détournement des innovations technologiques, en vogue au début du XXe siècle, est notamment très ingénieux: qu'il s'agisse du téléphone, des moyens de transports ou encore du cinéma. L'auteure tisse également une véritable aura de mystère autour de la famille de Triss, gangrenée par les non-dits et les secrets que chacun de ses membres gardent jalousement, tout en prenant bien garde à présenter au monde l'image d'une famille parfaite en tout point. Si l'atmosphère est incontestablement le plus gros points fort du roman, le second tient à ses personnages, qui bien qu'âgés d'une dizaine d'années seulement, font preuve d'une maturité et d'une lucidité à même de parler à un lectorat adulte. On se prend vite d'affection pour la petite Triss, dont on comprend la détresse tout en ne pouvant s'empêcher de redouter sa véritable nature. Pen, sa petite soeur, est quant à elle un sacré phénomène qu'il est impossible de ne pas trouver sympathique, de même que Violet, la belle-fille écartée à la mort du fils aîné et qui se distingue par son caractère rebelle et par sa volonté de s'émanciper, très mal vue à l'époque. Les autres adultes du roman sont, pour leur part, tous beaucoup moins forts et entiers que leurs versions miniatures : tous cachent quelque chose, une faiblesse ou une douleur qui pourrit leur quotidien et les empêche de faire le bon choix.

C'est enchantée que je ressors de cette réécriture du mythe du changelin, transporté ici par l'auteur dans un contexte post Première Guerre mondiale. Frances Hardinge parvient à créer pour l'occasion une véritable atmosphère d'étrangeté, alimentée notamment par la confrontation entre un folklore plus volontiers médiéval et un décor moderne dont elle s'amuse à exploiter les innovations. L'auteure tisse aussi et surtout un très beau portrait de la relation que peuvent entretenir deux soeurs, relation dont elle parvient à saisir toute la complexité et la tendresse sans jamais tomber dans le mièvre ou le convenu. Une vraie réussite !

Par boudicca

[L'article complet]

Publié le 21 août 2018

à propos de la même œuvre