Avec Les Magiciens, Lev Grossman avait donné un bon coup de pied dans la fourmilière des récits initiatiques de fantasy, s’attaquant de front mais non sans subtilité à Harry Potter et autres Chroniques de Narnia, trop proprets. Tout le monde n’avait pas forcément goûté à ces choix de mise en scène : certains lecteurs avaient par exemple trouvé les atermoiements d’un personnage comme Quentin trop marqués, quand il n’était pas question de la noirceur voire du cynisme du propos.
Avec Le Roi magicien, l’auteur poursuit son détricotage/détournement des codes de la fantasy, quand il est question de quête, de royaume en péril, de souverains aux prises avec la réalité de l’exercice du pouvoir, etc. Il faut dire qu’il développe au passage une « véritable » mythologie, démontrant s’il en était encore besoin qu’il ne s’agit pas pour lui de « taper » sur le genre littéraire qui nous rassemble ici. L’univers de Lev Grossman acquiert donc une ampleur et un aspect tangible qui manquaient peut-être au premier tome, en particulier cette ouverture aux quatre vents qui évitera au lecteur d’étouffer. On s’éloigne de la dimension « étriquée » des débuts. Le lecteur justement voyage une fois de plus beaucoup, au fil des rencontres qui ponctuent cette aventure.
Pour autant, il ne faut évidemment pas imaginer que Lev Grossman s’est rangé et nous livre une histoire convenue. On retrouve évidemment le ton, le sel de son précédent roman, à travers la plume de l’auteur et les réflexions de ses personnages. Si ceux-ci ont su évoluer, ils n’ont pas perdu leur mordant par la même occasion, à l’image de Julia, sans doute toujours la figure de proue du groupe. Ses déboires et son détachement faussement étudié nous resteront longtemps en tête. Le personnage de Quentin lui-même a su quelque peu s’affirmer et, de façon générale, tous les personnages sont cette fois logés à la même enseigne, avec un temps de présence “à l’écran” bien choisi et sans fausse note. Exit Quentin le geignard tirant la couverture à lui.
L’un dans l’autre, l’auteur brosse un récit malin aux références plus ou moins accessibles toujours aussi nombreuses, mais il nous donne avant tout une histoire empreinte d’une réelle démarche réflective, qui va bien sûr au-delà d’interrogations concernant la seule fantasy. Grossman a toujours assumé ses partis pris et cela ne l’empêche pas d’avoir écrit une belle et triste histoire en tant que telle.
Le Roi magicien constitue donc une suite de haute volée, parfaitement maîtrisée et bien plus soucieuse de ses personnages qu’il n’y paraît de prime abord. De fait, comme le veut la formule consacrée, si vous avez aimé le premier tome… vous n’avez aucune raison valable de faire l’impasse sur celui-ci !
Gillosen