Eh oui. Je me suis racheté La Brigade Chimérique dans l’intégrale en un volume qui vient de paraître, alors que j’avais déjà les six tomes parus en 2009-2010. Parce que, sans être un fan ultime (en dépit de ce geste hautement fanique), j’aime quand même beaucoup (ce dont témoignait je pense mon enthousiasme pour le jeu de rôle – l’encyclopédie). Et parce que cette édition, enfin disponible à un prix abordable (35 € contre, si je ne m’abuse – aha – 66 € pour les six tomes séparés !), est plus joulie – le format est un poil plus grand, les yeux apprécient – et enrichie (artbook, note d’intention, références), ce qui vaut franchement le coup, mais j’y reviendrai. Parce que, enfin, j’avais depuis quelque temps déjà une très forte envie de relire la chose, et que mes exemplaires étaient éparpillés dans des cartons ici ou là (surtout là, d’ailleurs) du fait de mon déménagement. Ce qui me donne l’occasion de vous en causer à nouveau – d’autant que je n’étais pas content, et ne le suis toujours pas, de ma chronique du premier tome parue en son temps sur feu le beau site du Cafard cosmique, et rédigée alors même que je ne savais rien de la suite, encore à paraître, laquelle suite je n’avais jamais chroniqué. Alors hop, c’est tipar.   On connaît l’idée : raconter la fin des super-héros européens en 1939, ce qui revient à se demander pourquoi, à la différence des USA, l’Europe n’a pas développé de culture super-héroïque. Pourtant, ce comic book FRRRRRANÇAIS en témoigne assez, les personnages pouvant relever de ce titre ne manquaient pas dans l’Europe de l’entre-deux-guerres ; mais ils sont pour la plupart sombrés dans l’oubli (ce qui rendait d’ailleurs la lecture de la BD, du moins au fil des parutions dans sa première édition, assez hermétique à l’occasion…). On s’intéresse ainsi à tout un pan de la culture populaire mais pas que, et notamment à une certaine science-fiction qui ne s’appelait pas encore ainsi.   On voit ici ce qui, à la fois, rapproche et distingue La Brigade Chimérique de ce qui en fut une influence évidente – et plus ou moins assumée par Serge Lehman en fin de volume –, à savoir  La Ligue des Gentlemen Extraordinaires du Divin Alan Moore et de Kevin O’Neill, laquelle piochait de même ses personnages et situations dans la littérature populaire (surtout) européenne, mais s’arrêtait – au moment où le projet de La Brigade Chimérique était initié, cela n’est plus vrai depuis – avant la Première Guerre mondiale.   Or, ici, c’est bien l’entre-deux-guerres qui retient l’attention des auteurs, et la Première Guerre mondiale, justement, est envisagée comme un point de départ : c’est, pour bon nombre d’entre eux, dans l’horreur des tranchées, à l’ère des nouvelles armes et – bien sûr – du radium, que sont apparus les super-héros européens, et notamment la Brigade Chimérique qui donne son nom à l’œuvre, sans toutefois monopoliser l’attention, loin de là. Car si la Brigade – le Soldat Inconnu, le Baron Brun, Matricia, Sérum – est une création originale des auteurs, autour d’elle gravitent bien des personnages empruntés ici ou là, à l’histoire comme à la fiction, et qui font tout le sel de cette BD riche en références (enfin expliquées en appendice, ce qui s’avère éventuellement utile, tout n’étant pas évident, loin de là).   Douze chapitres – dix épisodes entourés d’un prologue et d’un épilogue. Ce qui, à mon sens, ne fait que confirmer l’impression que j’en avais déjà lors de la parution du  premier tome : cette BD était bien plus adaptée au format intégrale en TPB enfin disponible qu’à la parution en six brefs volumes (format bâtard entre les fascicules américains et les classiques BD franco-belges), trop chers qui plus est. Et la relire ainsi, ça passe franchement très bien ; beaucoup mieux, en fait, qu’à la première lecture : on y repère en effet plein de choses sur lesquelles on ne s’était pas forcément attardé la première fois, faute d’éléments permettant de comprendre au juste à quoi les auteurs faisaient allusion.   Je ne reviendrai pas ici sur le point de départ – ce serait redondant après ma chronique, même peu satisfaisante, du premier tome –, et parler plus en détail de ce qui se passe ensuite reviendrait sans doute à spoiler excessivement, ce qui serait dommage. Je vais donc m’en tenir à une évocation du projet général, dont la cohérence, envisagé ainsi dans sa globalité, ne saurait faire de doute.   Nous sommes donc dans une Europe à la veille de basculer dans la guerre, et dans laquelle les principales nations sont « protégées » par des super-héros (ou des surhommes, comme vous voulez – Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, est cité en début et en fin de volume). La BD tend ainsi à expliquer la fin des super-héros européens, en mêlant fiction et histoire. Aussi sait-on, dans les grandes lignes, dès le début comment tout cela va se terminer : mal. Très mal. Ce qui, là encore, contribue à distinguer La Brigade Chimérique de son précieux modèle mooresque (en tout cas des deux premières « saisons ») : le ton en est nettement plus grave, beaucoup moins jubilatoire. Ce qui n’est pas une critique, loin de là, mais un simple constat, et n’ôte pas tout caractère « fun » à la création de Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess et Céline Bessonneau ; celui-ci revient bien, de la même manière que pour la  LGX, du jeu des références plus ou moins cryptiques – plus chez Lehman et Colin que chez Moore, même si elles sont sans doute relativement moins abondantes. L’époque comme le propos s’y prêtent, en effet. Et, dès le prologue, avec cette réunion à Métropolis des principaux super-héros, perturbée par le Cafard, on distingue derrière la croix gammée de Mabuse l’ombre d’Auschwitz…   Mais si le drame qui se noue a ainsi des implications de grande ampleur, il est aussi adapté à l’introspection et à l’intimité, se jouant aussi à un niveau personnel – notamment à travers les personnages de Jean Séverac (le héros, donc, mais qui n’a pas forcément une position plus importante que les autres), du Nyctalope (superbement utilisé et bien campé, en vague salaud vaguement faf et – surtout – frustré de ne pas avoir un biographe à sa hauteur, mais un simple écrivaillon payé à la ligne…) et de George Spad, la très masculine jeune femme à l’identité floue, oscillant entre surréalisme et feuilleton populaire. Mais les époux Joliot-Curie ne sont pas en reste, et, à vrai dire, on pourrait étendre ce propos à bien des personnages de la BD – fictifs pour l’essentiel, mais parfois historiques, donc.   Et tout cela se marie très bien dans l’ensemble. Oh, certes, cela n’est pas « parfait », comme de juste : cette relecture me semble bien confirmer quelques pains scénaristiques (rares mais bien présents), une vague confusion parfois dans le déroulement des diverses trames (renforcée par l’hermétisme de certaines références). Mais elle confirme aussi la cohérence et l’intelligence du projet, qui ne sauraient faire de doute – même si, re-comme de juste, d’aucuns trouveront peut-être de mauvais goût la conclusion pourtant inévitable (un risque à courir, j’imagine). Et, oui, du coup, cette BD passe à mon sens bien mieux envisagée ainsi ; je l’ai davantage apprécié lors de cette relecture, incomparablement plus même.   J’émettrai cependant toujours la même réserve sur le dessin de Gess : si celui-ci nous mitonne à l’occasion quelques planches de toute beauté, joliment mises en couleurs par Céline Bessonneau, et que l’on apprécie d’autant plus dans ce format un poil plus « grand » (à noter l’artbook en fin de volume, constitué de recherches comme de matériel promotionnel – pour le moins alléchant), je reste globalement d’un avis mitigé le concernant. Le trait ne manque pas de personnalité – tout en rappelant pas mal, ainsi que je l’avais noté à l’époque, celui d’un Mignola, en moins anguleux cela dit –, mais le résultat final est plus ou moins convaincant, notamment en ce que, à mon sens, si Gess est très doué pour les décors et « l’inhumain », il se montre nettement moins talentueux pour ce qui est des visages, surtout, et ses scènes d’action ne sont pas toujours hyper lisibles…   Cela dit, la BD en elle-même, malgré ces quelques réserves, reste très enthousiasmante dans l’ensemble, et supporte donc très bien la relecture, voire en bénéficie. D’autant que ce volume dispose d’une réelle plus-value dans la trentaine de pages de notes de Serge Lehman qui le conclut : c’est tout à fait passionnant, parfois fort instructif, et toujours pertinent.   Aussi, je vous engage fortement à faire l’acquisition de cette BD, témoignant d’un projet bien pensé et presque « nécessaire », et à la réalisation dans l’ensemble plus que satisfaisante. C’est l’occasion de passer un très bon moment avec des personnages tous plus fascinants les uns que les autres, et de se divertir tout en s’instruisant et en réfléchissant (si). Maintenant que la BD est disponible dans un format adapté et à un prix raisonnable, vous auriez sans doute tort de vous en passer. Quant à moi, je salive en attendant la publication de L’Homme truqué, je l’espère dans des conditions aussi favorables.

Gess, Lehman, Colin, Bessoneau - La Brigade chimérique, l'intégrale - Welcome to Nebulia

Eh oui. Je me suis racheté La Brigade Chimérique dans l’intégrale en un volume qui vient de paraître, alors que j’avais déjà les six tomes parus en 2009-2010. Parce que, sans être un fan ultime (en dépit de ce geste hautement fanique), j’aime quand même beaucoup (ce dont témoignait je pense mon enthousiasme pour le jeu de rôle – l’encyclopédie). Et parce que cette édition, enfin disponible à un prix abordable (35 € contre, si je ne m’abuse – aha – 66 € pour les six tomes séparés !), est plus joulie – le format est un poil plus grand, les yeux apprécient – et enrichie (artbook, note d’intention, références), ce qui vaut franchement le coup, mais j’y reviendrai. Parce que, enfin, j’avais depuis quelque temps déjà une très forte envie de relire la chose, et que mes exemplaires étaient éparpillés dans des cartons ici ou là (surtout là, d’ailleurs) du fait de mon déménagement. Ce qui me donne l’occasion de vous en causer à nouveau – d’autant que je n’étais pas content, et ne le suis toujours pas, de ma chronique du premier tome parue en son temps sur feu le beau site du Cafard cosmique, et rédigée alors même que je ne savais rien de la suite, encore à paraître, laquelle suite je n’avais jamais chroniqué. Alors hop, c’est tipar.

 

On connaît l’idée : raconter la fin des super-héros européens en 1939, ce qui revient à se demander pourquoi, à la différence des USA, l’Europe n’a pas développé de culture super-héroïque. Pourtant, ce comic book FRRRRRANÇAIS en témoigne assez, les personnages pouvant relever de ce titre ne manquaient pas dans l’Europe de l’entre-deux-guerres ; mais ils sont pour la plupart sombrés dans l’oubli (ce qui rendait d’ailleurs la lecture de la BD, du moins au fil des parutions dans sa première édition, assez hermétique à l’occasion…). On s’intéresse ainsi à tout un pan de la culture populaire mais pas que, et notamment à une certaine science-fiction qui ne s’appelait pas encore ainsi.

 

On voit ici ce qui, à la fois, rapproche et distingue La Brigade Chimérique de ce qui en fut une influence évidente – et plus ou moins assumée par Serge Lehman en fin de volume –, à savoir  La Ligue des Gentlemen Extraordinaires du Divin Alan Moore et de Kevin O’Neill, laquelle piochait de même ses personnages et situations dans la littérature populaire (surtout) européenne, mais s’arrêtait – au moment où le projet de La Brigade Chimérique était initié, cela n’est plus vrai depuis – avant la Première Guerre mondiale.

 

Or, ici, c’est bien l’entre-deux-guerres qui retient l’attention des auteurs, et la Première Guerre mondiale, justement, est envisagée comme un point de départ : c’est, pour bon nombre d’entre eux, dans l’horreur des tranchées, à l’ère des nouvelles armes et – bien sûr – du radium, que sont apparus les super-héros européens, et notamment la Brigade Chimérique qui donne son nom à l’œuvre, sans toutefois monopoliser l’attention, loin de là. Car si la Brigade – le Soldat Inconnu, le Baron Brun, Matricia, Sérum – est une création originale des auteurs, autour d’elle gravitent bien des personnages empruntés ici ou là, à l’histoire comme à la fiction, et qui font tout le sel de cette BD riche en références (enfin expliquées en appendice, ce qui s’avère éventuellement utile, tout n’étant pas évident, loin de là).

 

Douze chapitres – dix épisodes entourés d’un prologue et d’un épilogue. Ce qui, à mon sens, ne fait que confirmer l’impression que j’en avais déjà lors de la parution du  premier tome : cette BD était bien plus adaptée au format intégrale en TPB enfin disponible qu’à la parution en six brefs volumes (format bâtard entre les fascicules américains et les classiques BD franco-belges), trop chers qui plus est. Et la relire ainsi, ça passe franchement très bien ; beaucoup mieux, en fait, qu’à la première lecture : on y repère en effet plein de choses sur lesquelles on ne s’était pas forcément attardé la première fois, faute d’éléments permettant de comprendre au juste à quoi les auteurs faisaient allusion.

 

Je ne reviendrai pas ici sur le point de départ – ce serait redondant après ma chronique, même peu satisfaisante, du premier tome –, et parler plus en détail de ce qui se passe ensuite reviendrait sans doute à spoiler excessivement, ce qui serait dommage. Je vais donc m’en tenir à une évocation du projet général, dont la cohérence, envisagé ainsi dans sa globalité, ne saurait faire de doute.

 

Nous sommes donc dans une Europe à la veille de basculer dans la guerre, et dans laquelle les principales nations sont « protégées » par des super-héros (ou des surhommes, comme vous voulez – Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, est cité en début et en fin de volume). La BD tend ainsi à expliquer la fin des super-héros européens, en mêlant fiction et histoire. Aussi sait-on, dans les grandes lignes, dès le début comment tout cela va se terminer : mal. Très mal. Ce qui, là encore, contribue à distinguer La Brigade Chimérique de son précieux modèle mooresque (en tout cas des deux premières « saisons ») : le ton en est nettement plus grave, beaucoup moins jubilatoire. Ce qui n’est pas une critique, loin de là, mais un simple constat, et n’ôte pas tout caractère « fun » à la création de Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess et Céline Bessonneau ; celui-ci revient bien, de la même manière que pour la  LGX, du jeu des références plus ou moins cryptiques – plus chez Lehman et Colin que chez Moore, même si elles sont sans doute relativement moins abondantes. L’époque comme le propos s’y prêtent, en effet. Et, dès le prologue, avec cette réunion à Métropolis des principaux super-héros, perturbée par le Cafard, on distingue derrière la croix gammée de Mabuse l’ombre d’Auschwitz…

 

Mais si le drame qui se noue a ainsi des implications de grande ampleur, il est aussi adapté à l’introspection et à l’intimité, se jouant aussi à un niveau personnel – notamment à travers les personnages de Jean Séverac (le héros, donc, mais qui n’a pas forcément une position plus importante que les autres), du Nyctalope (superbement utilisé et bien campé, en vague salaud vaguement faf et – surtout – frustré de ne pas avoir un biographe à sa hauteur, mais un simple écrivaillon payé à la ligne…) et de George Spad, la très masculine jeune femme à l’identité floue, oscillant entre surréalisme et feuilleton populaire. Mais les époux Joliot-Curie ne sont pas en reste, et, à vrai dire, on pourrait étendre ce propos à bien des personnages de la BD – fictifs pour l’essentiel, mais parfois historiques, donc.

 

Et tout cela se marie très bien dans l’ensemble. Oh, certes, cela n’est pas « parfait », comme de juste : cette relecture me semble bien confirmer quelques pains scénaristiques (rares mais bien présents), une vague confusion parfois dans le déroulement des diverses trames (renforcée par l’hermétisme de certaines références). Mais elle confirme aussi la cohérence et l’intelligence du projet, qui ne sauraient faire de doute – même si, re-comme de juste, d’aucuns trouveront peut-être de mauvais goût la conclusion pourtant inévitable (un risque à courir, j’imagine). Et, oui, du coup, cette BD passe à mon sens bien mieux envisagée ainsi ; je l’ai davantage apprécié lors de cette relecture, incomparablement plus même.

 

J’émettrai cependant toujours la même réserve sur le dessin de Gess : si celui-ci nous mitonne à l’occasion quelques planches de toute beauté, joliment mises en couleurs par Céline Bessonneau, et que l’on apprécie d’autant plus dans ce format un poil plus « grand » (à noter l’artbook en fin de volume, constitué de recherches comme de matériel promotionnel – pour le moins alléchant), je reste globalement d’un avis mitigé le concernant. Le trait ne manque pas de personnalité – tout en rappelant pas mal, ainsi que je l’avais noté à l’époque, celui d’un Mignola, en moins anguleux cela dit –, mais le résultat final est plus ou moins convaincant, notamment en ce que, à mon sens, si Gess est très doué pour les décors et « l’inhumain », il se montre nettement moins talentueux pour ce qui est des visages, surtout, et ses scènes d’action ne sont pas toujours hyper lisibles…

 

Cela dit, la BD en elle-même, malgré ces quelques réserves, reste très enthousiasmante dans l’ensemble, et supporte donc très bien la relecture, voire en bénéficie. D’autant que ce volume dispose d’une réelle plus-value dans la trentaine de pages de notes de Serge Lehman qui le conclut : c’est tout à fait passionnant, parfois fort instructif, et toujours pertinent.

 

Aussi, je vous engage fortement à faire l’acquisition de cette BD, témoignant d’un projet bien pensé et presque « nécessaire », et à la réalisation dans l’ensemble plus que satisfaisante. C’est l’occasion de passer un très bon moment avec des personnages tous plus fascinants les uns que les autres, et de se divertir tout en s’instruisant et en réfléchissant (si). Maintenant que la BD est disponible dans un format adapté et à un prix raisonnable, vous auriez sans doute tort de vous en passer. Quant à moi, je salive en attendant la publication de L’Homme truqué, je l’espère dans des conditions aussi favorables.

Publié le 1 décembre 2012

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