Les Chroniques de l'Imaginaire
Jean-Claude Dunyach, avec ce recueil posé devant lui, participait, lors des récentes Imaginales, à une table ronde ayant pour thème " le renouveau de la SF française ". Après avoir lu les nouvelles qui composent cette anthologie, cette participation semble en effet évidente.
En effet, on y voit la science-fiction recommencer à explorer, loin de toute chatoyance évidente et autres grands évènements cosmiques, ces grands thèmes humains, et donc éternels, peut-être, que sont la mort, les paradoxes, le temps, la communication, et quelques autres. Et le choix de la nouvelle titre s'imposait, certainement.
On y trouve, donc :
Les harmoniques célestes : Il pensait pouvoir offrir aux mourants une vision de paradis qui les consolerait, mais ceux qui ont vu l'enfer l'ont destabilisé, il a arrêté toutes ses recherches, et disparu. Jusqu'à l'entrée de Mademoiselle dans sa vie. Cette nouvelle ouvre le recueil de façon paradoxale, puisqu'il y est question de la fin, et la référence discrète à Apollinaire m'a donné à penser que le personnage du chercheur était sans doute plus centré sur soi que je ne l'avais vu précédemment.
La fin des cerisiers : Tout va mal pour l'équipe américaine en tournage dans ce Japon étrange de 1972 : les cerisiers sont défleuris, il pleut, et leurs financiers japonais n'aiment pas les modifications de scénario imposés par la vedette hollywoodienne. Ce texte en demi-teinte et en non-dits rappelle, non sans une ironie cruelle, que c'est notre rapport à la mort, et par conséquent à la valeur de la vie, qui nous détermine, et qui nous permet de communiquer, en tant que culture et que société.
Les coeurs silencieux : Le chimiste qui a créé la molécule de l'empathie, qui s'est débrouillé pour la mettre à la disposition de tous, et qui s'est même chargé de la diffuser en personne dans les pires endroits de la planète, est en train de mourir. Seul, selon son choix. Cette " utopie ambiguë ", pour reprendre les mots de Le Guin à propos de ses Dépossédés, évoque la tyrannie aliénante que peut être la présence constante des autres, surtout quand on connaît leurs émotions, et la nécessité de la solitude.
Repli sur soie : Richard a été toute sa vie obsédé par la complexité, les codes, et la recherche de l'équation qui contiendrait dans ses plis l'univers entier. Le paradoxe étrange entre complexification et simplification, la recherche permanente de soi à travers le monde, la solitude, le rapport, encore une fois, au temps et à la mort, sont au centre de ce texte superbe, certainement le plus abouti du recueil, et que je ne prétends certes pas avoir totalement déchiffré, malgré deux lectures attentives. Jean-Claude Dunyach peut écrire magnifiquement, et cette nouvelle, dont il n'y a rien d'étonnant à ce qu'elle ait reçu le prix Rosny aîné en 2008, suffirait à le prouver, s'il en était besoin.
Aime ton ennemi : Les chercheurs chargés d'éradiquer l'algue toxique Caulerpa toxifolia cachent quelque chose, à l'évidence. Cayre fouinera jusqu'à découvrir quoi. La façon dont mort et vie s'entrelacent dans cette nouvelle, le paradoxe donné dès le titre, la rendent intéressante, même si elle souffre un peu de la proximité de la précédente.
Visiteur secret : Deux adolescents s'apprêtent à faire l'amour pour la première fois, quand un étrange visiteur apparaît. Il est difficile de parler de ce texte court sans le déflorer, et je dirai seulement qu'il aborde aux rivages secrets du temps et de ses différentes formes.
Lors de la table ronde que j'évoquais en préambule, Jean-Claude Dunyach disait avoir besoin d'écrire au sein de la " mosaïque " des écrits de ses confrères en SF. Le paradoxe est, selon moi, que l'isolement, plus encore que la solitude, apparaît dans la plupart des textes qui constituent ce recueil, qu'il soit explicite (Les coeurs silencieux, la fin des Harmoniques célestes), ou pas (Repli sur soie, dans laquelle Richard dit " J'ai vécu dans un univers peuplé essentiellement d'ombres de moi-même ", Visiteur secret, voire La fin des cerisiers, d'une certaine façon). D'autres lecteurs y verront d'autres thèmes centraux, mais nul doute que tous se régaleront de découvrir ces textes passionnants.
Mureliane
Publié le 26 septembre 2011