Ces trois perles justifient très largement qu’on s’arrête sur ce recueil, et m’invite personnellement à aller lire les autres volumes de la série des nouvelles de Jean-Claude Dunyach.

Dunyach - Déchiffrer la trame - L'épaule d'Orion
Article Original

Alors que je philosophais joyeusement au blaster avec une horde de guerriers du nuage d’Oort, dissertant des bases d’une métaphysique de la violence inter-espèces dans la région transneptunienne, l’avatar d’un des empereurs-dieux albinos du Khae Usaphea m’interpella : « Hé loqueteux, arrête ces conneries et déchiffre la trame. » Saisissant l’injonction comme une excuse pour me dégivrer le neocortex (c’est qu’on se les gèle sur Eris), je m’écriai PhUk dash-h-h Hitt!* et déphasai.

Plus que dans toute autre littérature, la nouvelle est en SF un art majeur. Anthologies, recueils et magazines sont intimement liés à l’histoire du genre et sont bien souvent le moteur de son évolution. C’est donc régulièrement que je chronique des nouvelles individuelles ou des recueils de nouvelles sur les pages de ce blog. Tant qu’à lire la nouvelle Déchiffrer la Trame de Jean-Claude Dunyach, autant lire tout le recueil dans lequel on la trouve, non ? Elle se lit dans le recueil auquel elle donne son nom et qui s’inscrit dans la collection des recueils des nouvelles de Dunyach publiée entre 2000 et 2011 chez L’Atalante :

    La Station de l’Agnelle (2000)
    Dix jours sans voir la mer (2000)
    Déchiffrer la trame (2001)
    Les Nageurs de sable (2003)
    Le Temps, en s’évaporant (2005)
    Séparations (2007)
    Les harmoniques célestes (2011)

Déchiffrer la Trame
(le recueil) contient 9 nouvelles de longueur et d’intérêt variables, qui explorent différents genres en présentant des textes allant de l’uchronie recyclant les mèmes napoléoniens à la trollerie pratchienne, en passant par l’hommage à Jorge Borges. Trois des nouvelles sortent véritablement du lot à mon sens : Déchiffrer la trame, Les pleureurs de monde, et La stratégie du requin.


Déchiffrer la trame

Sans grande surprise, la nouvelle qui ouvre le recueil et lui donne son nom en est l’un des textes phares. Il faut dire qu’il a été facile de me convaincre, c’était même presque joué d’avance. [...] Dans les sous-sols du musée des Civilisations, deux conservateurs de tapis anciens décryptent du bout des doigts la trame d’un tapis du Kurdistan tissé au VIIIe siècle. Nervosité des nœuds, relâchement des fils, chaque modulation révèle un moment de la vie de l’artisan. Le récit suit la trame de la laine, tel une archéologie du geste. L’aspect science-fictif de la nouvelle apparaît derrière le voile d’un mystère, rappelant dans la méthode les racines du récit fantastique. Et dans la plus pure tradition de la SF, la conclusion élève le récit. La nouvelle est en outre superbement écrite.


Les pleureurs de monde

Changement complet d’atmosphère, Les pleureurs du monde s’offre un panorama qui rappelle les couchers de soleil sur les dunes de sable d’Arrakis. A nouveau, il était facile de m’amadouer. Les pleureurs du monde sont ces êtres du désert qui, au lendemain des ravages planétaires, viennent ronger les traces laissées par les civilisations disparues, dissolvant leur mémoire et leurs palais. Il s’agit d’un texte à cachet onirique qui démontre, si besoin était, la capacité de la SF à penser l’étrange et l’altérité.


La stratégie du requin

C’est une nouvelle de hard-SF qui referme le recueil. Franchement, à ce point c’est triché. Evidemment que j’allais l’aimer celle-là aussi. Le narrateur est un hacker des profondeurs, le prédateur ultime de l’univers cybernétique, en d’autres termes un requin « capable d’engloutir le monde ». Jusqu’au jour où un mystérieux agent de la surface, comprenez la réalité, va venir lui proposer, sous la menace, une mission qui va l’emmener dans l’espace. Le sense of wonder procuré par le final est la raison pour laquelle je lis de la SF.

Ces trois perles justifient très largement qu’on s’arrête sur ce recueil, et m’invite personnellement à aller lire les autres volumes de la série des nouvelles de Jean-Claude Dunyach. Voilà qui me réconcilie un peu avec la SF française qui, je dois l’avouer, n’est en général pas ma tasse de thé.

*en langage de bataille harkonnen dans le texte

L'épaule d'Orion 

Publié le 6 juin 2018

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