Ce que j’apprécie aussi beaucoup dans cette saga (outre l’univers extrêmement soigné et des personnages au puissant charisme), c’est que rien n’y est statique, tout, de la technologie à la géopolitique en passant par la psychologie ou la vie des protagonistes, évolue en permanence et ça, c’est vraiment très agréable.

En mission - Le culte d'Apophis
Article Original

En mission est le douzième roman du cycle Honor Harrington, par David Weber. Comme pour tous les tomes postérieurs au cinquième, Pavillon de l’exil, il est divisé, dans sa version française semi-poche, en deux volumes, d’environ 400 pages chacun. Signalons que le 23 janvier 2020, l’Atalante sortira à la fois le très attendu quatorzième livre du cycle, Sans concession (paru en VO en… 2018 : on est loin de la réactivité de certains autres éditeurs !), ainsi que les versions poche de En mission et du roman suivant du cycle, L’orage gronde (dont la critique sera la seconde publiée sur ce blog en 2020)… en un volume unique, et au prix de 12 euros (au lieu d’une quarantaine pour la version semi-poche…) pour le tome douze et de 11 pour le onze (au lieu d’une trentaine pour la version semi-poche). Alors c’est très bien pour ceux qui ont commencé la saga en version poche, et qui bénéficient donc, en version physique, de tarifs encore inférieurs à ceux de la version électronique, mais pour ma part, il aura vraiment fallu l’excellence des couvertures de Genkis pour faire passer la pilule.

Mais revenons au livre proprement dit : après un tome 11 qui était, de mon point de vue, un des meilleurs du cycle, et qui montrait une bataille d’une ampleur proprement homérique, toute la question était de savoir ce que Weber allait proposer après une telle apothéose, et surtout s’il saurait éviter de retomber dans ses travers antérieurs (les tomes 9-10 étant épouvantablement verbeux). Et le résultat est globalement positif, même si le premier des deux volumes peut franchement faire peur, comme nous allons le voir. En tout cas, En mission se finit sur un changement absolument colossal dans la géopolitique de cet univers, dont les conséquences seront explorées dans L’orage gronde. Pour finir, signalons que même si c’est encore plus sensible dans le tome 13, il devient très difficile de pouvoir tout comprendre sans avoir lu les deux cycles dérivés de l’Honorverse, à savoir La couronne des esclaves et Saganami. Je signale d’ailleurs que je publierai, en 2020, un guide de lecture (semblable à celui consacré à Peter F. Hamilton) permettant de se retrouver dans ce fouillis en terme d’ordre de lecture, de textes indispensables ou accessoires, etc (sachant qu’il y a également des recueils de nouvelles et autres sourcebooks qui rendent la tâche encore plus ardue). Alors entendons-nous bien, lire le cycle principal sans rien lire d’autre est possible (l’auteur vous donne les éléments indispensables pour suivre), mais ça n’a rien de très agréable, tant on a l’impression (justifiée) de passer à côté de nombreux « détails » (qui n’en sont pas vraiment).

Avertissement : arrivé au tome 12 (!) d’un cycle, les spoilers sur les tomes précédents sont inévitables, même si j’ai tout fait pour les minimiser le plus possible et que ce qui suit ne spoile pas l’intrigue d’En mission proprement dit. La lecture de cette critique reste malgré tout à vos risques et périls si vous êtes moins avancé dans le cycle.

Situation, lignes narratives, découpage

Pour simplifier, le roman suit trois lignes narratives principales : la première concerne la mission menée par Honor à la Nouvelle-Paris pour tenter de mettre au point un traité de paix acceptable par les deux camps avec les Havriens ; la seconde concerne l’attaque de l’amiral Solarien Crandall dans le Quadrant de Talbot, à laquelle va devoir faire face l’Amiral Henke (une bataille que Weber nous avait fait miroiter dans le cycle dérivé Saganami mais qui est finalement décrite dans la saga principale) ; et la troisième concerne les préparatifs puis l’exécution d’une frappe menée par la flotte de l’Alignement Mesan dans (entre autres) le système de Manticore. L’arc lié à la flotte de Crandall est réglé dans le premier des deux volumes qui composent En mission (en version semi-poche), tandis que les deux autres s’étendent d’un bout à l’autre du roman.

Le premier des deux volumes n’est pas vraiment rassurant : certes, la mission diplomatique d’Honor n’est pas inintéressante, mais il y a beaucoup de blabla stratégico-politico-économique, ce qui peut faire craindre (à tort, je m’empresse de vous rassurer) un tome 12 dans la lignée des 9-10. Et puis la bataille Crandall vs Henke, si elle est effectivement décrite en une bonne cinquantaine de pages, est tellement déséquilibrée vu l’obsolescence du matériel Solarien et la nullité de leurs officiers qu’elle n’est, de ce fait, pas vraiment palpitante (on est très loin, en tout cas, du niveau stratosphérique de dramaturgie de celle du tome 11 !). Et ce malgré le fait qu’elle oppose 71 supercuirassés Solariens face à… zéro côté Henke (sans parler d’un tonnage combiné treize fois supérieur au sien). Pourtant, il ne faut pas vous affoler, car cette bataille a en fait une vraie utilité, que vous ne comprendrez que dans le second des deux volumes, quand la frappe de Mesa aura lieu. Impossible d’en dire plus sans spoiler, mais faites-moi confiance, elle a en fait servi à vous installer dans un certain état d’esprit qui sera démenti par la suite. De plus, les conséquences immédiates de la bataille sont elles aussi intéressantes, notamment quand Weber décrit des opérations d’abordage des épaves ou des vaisseaux qui se sont rendus, que ce soit par un groupe de prise ou pour des opérations de recherche & sauvetage.

Le second des deux volumes (ou la seconde moitié, pour la version poche en un seul volume / la version électronique) est donc beaucoup plus intéressant : outre une dramaturgie qui, dans son genre, est au moins aussi élevée que celle de la bataille du tome 11, avec notamment la perte de certains personnages secondaires qui étaient là depuis les débuts du cycle ou quasiment, cette seconde moitié d’En mission redéfinit brutalement l’équilibre stratégique, permettant à des Solariens humiliés d’envisager une frappe décisive qui était jusque là chimérique. Mais les événements vont avoir une conséquence encore plus inattendue, quand les Havriens vont adopter une attitude que personne n’aurait pu imaginer, faisant à nouveau basculer l’équilibre stratégique dans un sens inédit et assez hallucinant pour le lecteur. Bref, même si vous n’êtes pas très convaincu par les 400 premières pages, poursuivez, ce qui suit vaut mais alors carrément le coup !

Aspect militaire

C’est probablement avec ce douzième tome qu’on commence à se rendre compte de l’ampleur de la Flotte Solarienne, notamment quand l’auteur vous explique qu’en comptant la Réserve, elle peut mobiliser onze mille supercuirassés (rappelez-vous les débuts du cycle, quand vous faisiez « waouh ! » quand il y en avait une poignée, voire un seul, mis en jeu…). Toutefois, Weber s’empresse aussi de préciser que par rapport aux machines de guerre Manticoriennes ou Havriennes, forgées par vingt ans de conflits incessants, les vaisseaux solariens sont affreusement primitifs (en raison du fait que les chercheurs de la FLS sont persuadés d’avoir le meilleur matériel possible et que personne ne peut faire mieux et du fait que cette flotte n’a mené aucune guerre face à un adversaire doté de vaisseaux du Mur de bataille de toute son histoire, juste des « opérations de police ») : ils ont peu de missiles (et basiques, qui plus est : pas de MPM -missiles à propulsion multiple-, de système de contrôle de tir supraluminique type Apollon, etc), et la plupart ont des canons automatiques (des armes qui tirent des obus !) au lieu de lasers en guise de système de défense rapprochée ! Conçus pour le combat aux armes à énergie, ils sont complètement surclassés par les SCPC et les Porte-BAL Manticoriens, autant que, par exemple, un cuirassé de la Première Guerre Mondiale serait complètement démuni face à un Porte-avions ou un destroyer lance-missiles (voire une simple frégate) moderne.

De même, on prend la mesure exacte de l’immense puissance de feu d’une Forteresse, ces stations en grande partie statiques qui défendent les trous de ver de l’Empire Manticorien, vu que Weber précise que celles de Lynx pourraient résister sans appui extérieur à mille SCPC (super-cuirassé porte-capsules) modernes (Havriens, Graysoniens, Andermiens, Manticoriens). Autant dire que les vieilleries des Solariens n’ont pas la moindre chance face à elles !

Si on étudie même de façon basique l’aspect militaire du cycle dans son ensemble, on s’aperçoit que Weber introduit dans son univers peu à peu des évolutions ou des nouveautés qui ne sont qu’un miroir de l’évolution du matériel dans notre propre monde, mais adaptées à un environnement spatial de haute technologie. Par exemple, les Porte-BAL développés par Manticore sont l’équivalent de l’invention du Porte-avions sur Terre, avec le même genre de conséquences révolutionnaires sur la conduite de la guerre. Dans En mission, l’auteur dote Mesa d’une allégorie du bombardier furtif, ce qui permet à l’Alignement de mener l’équivalent (toutes proportions gardées) de Pearl Harbor dans le système de Manticore. Le nom de l’opération est d’ailleurs « Baie des huîtres », ce qui en dit long.

Comme dans tout livre de l’Honorverse, l’auteur décrit aussi tout un lot de nouveau matériel (ce que vous attendiez, lecteurs, avec impatience : ne niez pas, on vous a dénoncés !), et dans ce tome 12, nous sommes particulièrement gâtés : la différence est que cette fois, les joujoux inédits sont Mesans, pas Manticoriens ou Havriens. Vous saurez ainsi tout sur la propulsion éclair, la propulsion araignée, la torpille à graser (laser à rayons gamma) et les nouveaux modèles de missiles Cataphracte, ainsi bien entendu que sur les croiseurs de classe Requin de l’Alignement.

Mon avis

Certes, ce douzième tome reste un peu trop bavard, mais il est aussi et surtout passionnant, notamment via des scènes (et pas toujours de combat ou dramatiques)  d’une étonnante puissance : on pense à la rencontre Pritchart – Harrington, mais aussi à celle où Nimitz révèle à Honor les noms sylvestres de Pritchart et Theisman, le brillant passage où Hamish découvre pour la première fois la Salamandre (le côté impitoyable d’Honor, entraperçu dans L'ennemi dans l'ombre , par exemple), et bien entendu LA scène finale, avec une poignée de main inimaginable jusqu’ici pour sceller un accord qui l’est tout autant.

Il est aussi fascinant de découvrir la véritable ampleur spatiale de l’Alignement, sans compter la plongée dans les arcanes bureaucratiques de la Ligue Solarienne, où les ministres, le président et les représentants élus n’ont aucun pouvoir réel, celui-ci étant détenu par des bureaucrates et technocrates, des sous-secrétaires permanents (et dans une société disposant de techniques de prolongement de la vie -le « prolong »-, permanent peut signifier un « mandat » de plus d’un siècle !) que nous apprendrons à connaître, dans le tome 13, sous le surnom de « Mandarins ».

Ce que j’apprécie aussi beaucoup dans cette saga (outre l’univers extrêmement soigné et des personnages au puissant charisme), c’est que rien n’y est statique, tout, de la technologie à la géopolitique en passant par la psychologie ou la vie des protagonistes, évolue en permanence (le côté impitoyable d’Honor se renforçant avec le temps), et ça, c’est vraiment très agréable.

Alors certes, il y a des défauts, c’est trop long, trop bavard, il y a un quintillion de points de vue, mais nom de Râ, qu’est-ce que c’est bien ! C’est vraiment la saga que je lis avec le plus d’envie et de facilité, sans jamais saturer et en étant capable d’enchaîner dans les 250 pages par jour, ce qui est très loin de mes capacités habituelles. Sans compter que l’humour, toujours présent chez Weber, franchit ici un cap supplémentaire, avec quelques punchlines fort savoureuses ou des clins d’œil hilarants : impossible, par exemple, de ne pas remarquer cette enseigne prénommée Tabatha servant sur le HMS Sorcière Stellaire, pas vrai ?

Bref, le seul point qui m’a chagriné là-dedans (à part la politique tarifaire de l’Atalante et le fait qu’ils ont l’air largement plus préoccupés par de la SFF à la Becky Chambers / Assasynth / Réjouissez-vous ces derniers temps que par celle, de qualité, relevant du sous-genre militaire qui a fait une bonne part de leur renommée -de Weber à Glen Cook en passant par Jack Campbell, vous avez l’embarras du choix-) est que j’approche de plus en plus rapidement d’un point où je n’aurai plus rien de majeur à lire dans l’Honorverse, et ça, ça me chagrine profondément.

Un avant-dernier mot pour louer, une fois de plus, les couvertures (première ET quatrième), qui sont à la fois esthétiques et parfaitement en rapport avec les événements marquants du livre concerné. Bravo l’artiste.

Le culte d'Apophis

Publié le 20 février 2020

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