La Guilde des Queues de chats morts est une réussite.

La Guilde des Queues de chats morts - Elbakin.net
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Avec La Guilde des Queues de chats morts, P. Djèlí Clark livre une novella nerveuse et ciselée. Si l’on connaît l’auteur pour ses textes mêlant politique, magie et identité (notamment Maître des djinns), il évolue cette fois dans un registre plus frontal, mais toujours imprégné de ses thématiques de prédilection.
L’action se déroule dans Tal Abisi, une cité-État entre Orient mythique, port africain et surtout jungle (parfois juridique…) peuplée de dieux. Loin d’un décor générique, la ville est dense, animée, crédible jusque dans ses ruelles poussiéreuses et ses temples décatis. On y suit Eveen, assassin ressuscitée et asservie à une divinité locale, désormais tenue par des vœux stricts.
Le coup de théâtre majeur d’entrée de jeu ? Sa prochaine cible est semble-t-il une version plus jeune d’elle-même, ce qui déclenche une remise en question de tout ce qui fait son identité, ou ce qu’il en reste. Ce jeu sur la mémoire, le destin et la déconstruction personnelle irrigue le récit d’un trouble profond qui dépasse la simple mécanique de la vengeance ou du complot divin.
Eveen est l’un des grands atouts du texte (même s’il faut accrocher à son ton particulier). Féroce, amère, souvent drôle, elle oscille entre cynisme assumé et doutes. P. Djèlí Clark parvient à nous faire ressentir l’usure d’une existence dictée par des règles sacrées, mais aussi l’attachement ambigu à la mission, car tuer est devenu pour Eveen une forme de certitude, presque un refuge. En miroir, “Azur”, sa version plus jeune apporte fraîcheur, colère et refus de l’ordre établi, dans une dynamique qui fonctionne aussi bien dans l’action que dans la réflexion.
Le format court a ses forces comme ses limites. Clark ne s’attarde pas forcément beaucoup, sur quoi que ce soit, ce qui donne au récit une vivacité bienvenue sur le plan “enquête”, rythmée par des dialogues tendus et des scènes d’action efficaces. Mais ce même format empêche parfois certains développements d’aller au bout de leur promesse. Quelques idées (sur la mémoire, sur les cultes urbains ou sur les hiérarchies divines) sont esquissées plus que vraiment exploitées.
Cela dit, le texte n’a pas vocation à bâtir une épopée. Il fonctionne comme une fable cruelle, presque une pièce de théâtre à deux personnages, dans un monde en arrière-plan que l’on devine complexe, mais dont on découvre seulement un aperçu. Et cela suffit, dans une large mesure, à faire exister cet univers.
La Guilde des Queues de chats morts est une réussite. Si l’on pourra regretter que certaines pistes ne soient qu’effleurées, c’est aussi ce qui fait la force du texte : une économie de moyens au service du propos.
Un court récit qui tranche, dans tous les sens du terme.

Gillossen

Publié le 20 mai 2025