Comme on aime aussi à l’occasion se faire brasser en lisant, je conclus par La bibliothèque nomédienne, d’Alfred Boudry avec les Gaillards d’Avant. Là, on est dans le moderne, et même le postmoderne! Et s’il existait en plein milieu de l’Atlantique, là où se trouve le fameux «pot au noir», un énorme continent jamais découvert, ou bel et bien découvert, mais tenu secret au cours des siècles pour des raisons... qu’on essaie d’élucider dans ce livre? À partir de ces prémices, Alfred Boudry et ses complices ont produit un des livres les plus jouissifs qu’il m’ait été donné de lire ces derniers temps et qui redore à mes yeux le terme désormais galvaudé de «fusion» lorsqu’il est appliqué aux genres dits populaires. Sa création semble une gageure, puisqu’il a été produit par une quinzaine de paires de mains, les membres d’un atelier d’écriture se tenant à Montpellier. Et pourtant, les diverses parties du texte (qui nous font voyager dans le temps, de la découverte des Amériques à aujourd’hui) s’arti­culent parfaitement, avec tout un jeu d’échos et de correspondances qui donnent le tournis par tout ce que ces dernières suggèrent sans jamais, bien sûr, le révéler. Ce «livre mosaïque» est à la fois une utopie, une histoire parallèle (ou «uchronie»), de la philosophie, un pastiche du roman d’aventures, des récits de voyage héroïques, des exposés scientifiques et des enquêtes sur un mystère. Le tout avec un délicieux humour pince-sans-rire, mais en posant aussi des questions extrêmement sérieuses sur les conditions de toute connaissance, à travers des relations de voyages, des articles de revues spécialisées (souvent désopilants), des lettres, des journaux — documents où il est parfois bien difficile de départager le vrai et l’inventé, et cela fait partie du plaisir proprement «uchronique» de la chose. Les amateurs de science-fiction déjantée remarqueront qu’on se trouve dans les parages de Borgès («Tlön Uqbar Orbis Tertius» plus que «La bibliothèque de Babel») autant que de Stanislas Lem et de sa bibliothèque solarienne (Solaris, le livre, pas le film), de ses faux articles d’encyclopédie du futur ou de ses critiques de livres inexistants (Imaginary Magnitude, Mortal Engines). Les autres devraient se laisser prendre sans réticences aux plaisirs de la fiction — et de la méta-fiction — qui propulsent cet ovni littéraire. Elisabeth Vonarburg, 2009/02/19, lelibraire.org.

Boudry/Copains d'avant - La bibliothèque nomédienne - Le Libraire

Comme on aime aussi à l’occasion se faire brasser en lisant, je conclus par La bibliothèque nomédienne, d’Alfred Boudry avec les Gaillards d’Avant. Là, on est dans le moderne, et même le postmoderne! Et s’il existait en plein milieu de l’Atlantique, là où se trouve le fameux «pot au noir», un énorme continent jamais découvert, ou bel et bien découvert, mais tenu secret au cours des siècles pour des raisons... qu’on essaie d’élucider dans ce livre? À partir de ces prémices, Alfred Boudry et ses complices ont produit un des livres les plus jouissifs qu’il m’ait été donné de lire ces derniers temps et qui redore à mes yeux le terme désormais galvaudé de «fusion» lorsqu’il est appliqué aux genres dits populaires. Sa création semble une gageure, puisqu’il a été produit par une quinzaine de paires de mains, les membres d’un atelier d’écriture se tenant à Montpellier. Et pourtant, les diverses parties du texte (qui nous font voyager dans le temps, de la découverte des Amériques à aujourd’hui) s’arti­culent parfaitement, avec tout un jeu d’échos et de correspondances qui donnent le tournis par tout ce que ces dernières suggèrent sans jamais, bien sûr, le révéler. Ce «livre mosaïque» est à la fois une utopie, une histoire parallèle (ou «uchronie»), de la philosophie, un pastiche du roman d’aventures, des récits de voyage héroïques, des exposés scientifiques et des enquêtes sur un mystère. Le tout avec un délicieux humour pince-sans-rire, mais en posant aussi des questions extrêmement sérieuses sur les conditions de toute connaissance, à travers des relations de voyages, des articles de revues spécialisées (souvent désopilants), des lettres, des journaux — documents où il est parfois bien difficile de départager le vrai et l’inventé, et cela fait partie du plaisir proprement «uchronique» de la chose. Les amateurs de science-fiction déjantée remarqueront qu’on se trouve dans les parages de Borgès («Tlön Uqbar Orbis Tertius» plus que «La bibliothèque de Babel») autant que de Stanislas Lem et de sa bibliothèque solarienne (Solaris, le livre, pas le film), de ses faux articles d’encyclopédie du futur ou de ses critiques de livres inexistants (Imaginary Magnitude, Mortal Engines). Les autres devraient se laisser prendre sans réticences aux plaisirs de la fiction — et de la méta-fiction — qui propulsent cet ovni littéraire.

Elisabeth Vonarburg, 2009/02/19, lelibraire.org.

Publié le 16 février 2010

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